mardi 14 décembre 2010

Les Colocs - « Tassez-vous de d'là »

Pour faire suite à mon précédent article sur Les Colocs, j'ai eu envie de présenter le plus grand succès de leur album Dehors Novembre : «Tassez-vous de d'là». Déjà un classique de la musique.

Ce billet est en partie inspiré par l'article « L'écriture musical ou Fais-moi un dessin », du recueil Le frisson des chansons de Stéphane Venne.

Selon Venne, « l'univers de "Tassez-vous de d'là" repose sur une seule idée, l'idée maîtresse de notre temps : Au secours! C'est ce qui en a fait l'hymne au désenchantement terminal, l'hymne de ceux qui déchantent, qui décrochent, ou pire qui débarquent » (p.159).
Cet appel à l'aide, on le ressent d'une façon fascinante. L'introduction, une entrée en matière de la chanson, se montre à la fois festive et songeuse avec cette mélodie de l'harmonica, ce rythme reggae de la guitare et de la batterie.
Puis, c'est la poésie. Le texte sombre dans la détresse. 

Tassez-vous de d'là,
Y faut que j'voye mon chum.

Un homme dans la foule bouscule les passants. Il cherche son ami. C'est urgent.
Le langage parlé, le langage pleuré, montre une compassion désespérée, mais vraie.

Ça fait longtemps que j'l'ai pas vu
Y'était parti, y'était pas là
La dernière fois que j'y ai parlé
Son coeur était mal amanché
Sa tête était dans un étau
Y'était pas beau...

Y'avait d'la coke dans' es yeux
Y'avait d'l'héro dans l'sang
Y'avait tout son corps qui penchait par en avant
Y'avait le goût d'vomir
Y'avait envie d'mourir
Qu'est-ce qu'on fait dans ce temps là
Moi, j'avais l'goût d'm'enfuir


On lui ouvre le chemin, il s'explique en quelques phrases, prononcées d'un trait, « sur des notes rapides jusqu'à l'essoufflement, jusqu'à plus d'air dans les poumons » (p. 162).
Ces paroles donnent à voir plutôt qu'à nous dire ce que nous devons ressentir, mais ils produisent tout de même un effet : nous réagissons à elles. Nous sommes horrifiés, coupables même, et remplis de compassion.

Je l'ai laissé tout seul au bord de la catastrophe
Pardonne-moé, pardonne-moé, j'ai pas voulu, j'ai pas voulu
Pas voulu t'abandonner dans le moment le plus rough
Je suis le lâche des lâches pas le tough des tough


Les mots importants se répètent, la mélodie de rythme binaire se fait tertiaire par moment, sur les paroles misent en valeur.

Balma balma sama wadji
Khadjalama yonwi
Djeguelma djeguelma sama wadji
Khadjalama yonwi
Sama wadji khadjalama yonwi

Le refrain est écrit en wolof. Peut-être parce que l'on a pas besoin de comprendre les mots pour en comprendre le sens. Peut-être aussi parce que le wolof et le joual sont deux langues vernaculaires, reflétant le peuple et les souffrances des petites gens, une souffrance humaine...

Moé, j'fais mon chemin dans la foule
En espérant qu'une chose
C'est de voir ton visage ou de t'entendre crier
Avec ta voix immense et ton coeur qui explose
"Aidez-moé... aidez-moé"
Moé j'fais mon chemin dans la foule
En espérant qu'une chose
C'est de voir ton visage ou de t'entendre crier
"J'en ai plein mon casse mais c'pas encore l'overdose
Aidez-moé... aidez-moé"


C'est la claque. Ce pan entier de la mélodie devient tertiaire. On chavire en même temps que la musique, on en ressent l'écoeurement jusque dans nos trippes.

Balma balma sama wadji
Khadjalama yonwi
Djeguelma djeguelma sama wadji
Khadjalama yonwi
Sama wadji khadjalama yonwi

Ma woloula Dédé woloula

Ma woloula Dédé woloula
Mike woloula yow mi waniwo
Mike woloula yow mi waniwo...

Je concluerai ici en citant une dernière fois Venne, dans ce magnifique hommage écrit :
« Je vous le dis sans restriction : quant à moi, je n'ai jamais, dans aucune chanson, d'aucune époque, d'aucun auteur, jamais rien entendu d'aussi chavirant. [...] Comme c'est beau, le talent, quand ça frôle le génie. [...] Un grand auteur, Fotin » (p. 167).

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