dimanche 20 février 2011

Gattaca - par Andrew Niccol

Fiche technique
Titre : Gattaca / Bienvenue à Gattaca
Réalisateur : Andrew Niccol
Scénario : Andrew Niccol
Musique : Michael Nyman
Année : 1997 
Avec : Ethan Hawke, Jude Law, Uma Thurman
La bande-annonce

Synopsis
Gattaca est une agence spatiale qui n’accepte en son sein que l’élite de la société. Mais, dans ce futur pas si éloigné, l’élite n’est plus désignée grâce à la classe sociale, la couleur de la peau, les diplômes ou la nationalité. Non. La place sociale que l’individu occupe se décide désormais dès la naissance dans ce monde où la procréation n’est plus placée sous le signe de l’amour, mais sous la main bienveillante de la science. En effet, la manipulation génétique est devenue la nouvelle façon de donner la vie. Dans cette société discriminatoire envers ceux qui ont été conçus de façon naturelle, un de ces êtres (considérés invalides), Vincent Freeman, décide de tout faire pour mettre en oeuvre son rêve : aller dans l’espace. Pour cela, il doit cependant devenir un pirate génétique (un dé-gêne-érés) en empruntant l’identité d’un enfant conçu in vitro, Jérôme Eugène Morrow, dont le destin, qui reste malgré tout la mère de l’avenir, a fauché les rêves en même temps que la colonne vertébrale. Vincent Freeman se voit donc ouvrir les portes de Gattaca. Mais il n’a pas prévu qu’une enquête policière pour un meutre risque de mettre en péril son projet... 

Guanine - Adénine - Thymine - Cytosine
Bienvenue à Gattaca dépeint un futur où la génétique régit la vie des gens. Dans ce monde où le déterminisme est devenue la nouvelle façon d’évaluer (humainement et financièrement) les habitants de cette société, l’eugénisme (et le génoïsme) a relégué au placard toute notion d’éthique, et est devenu le nouveau mode de conception des enfants. De fait, ce film pose les questions suivantes : si la discrimination est possible grâce à l’avènement d’une nouvelle technologie, jusqu’où peut-on aller dans l’organisation du tissu social? Est-ce éthique que les parents aient le droit de choisir tout ce qui constituera leur enfant, de la couleur des yeux à la personnalité ? Et comment faire la différence entre la maladie légère et le mal létal? Parmi les scènes supprimées du film, il existe une fin alternative d’une sobriété intelligente révélant tout le potentiel de Niccol. Elle montre quelques personnalités qui ont marqué l’histoire du monde atteintes de maladies génétiques plus ou moins graves : Abraham Lincoln (syndrome de Marfan), Emily Dickinson (bipolarité), Vincent Van Gogh (épilepsie), Albert Einstein (dyslexie), John F. Kennedy (maladie d’Addison), Rita Hayworth (alzheimer), Ray Charles (glaucome primaire), Stephen Hawking (sclérose latérale amyotrophique) et Jackie Joyner Kersee (asthme). Cette fin se veut en elle-même la conclusion personnelle du réalisateur aux questions du film : l’imperfection n’empêche pas le talent. Ou, si l’on préfère, l’eugénisme a tort de vouloir réduire les gens à leurs simples gènes, car l’humanité est plus que cela. L’humanité est un chemin pavé de choix, et ce sont ces choix qui forment l’individu, non son sang. Bienvenue à Gattaca, bien plus qu’un simple traité contre l’eugénisme (et les excès du génoïsme), est l’histoire de deux hommes que tout oppose, mais qui partagent pourtant leur vie et leur identité : Vincent Freeman (traduisible par Vincent Homme-libre!) et Jérôme Eugène Morrow (Génôme Gène Demain!). Le premier n’a rien pour lui, si ce n’est un rêve, alors que le second a tout sauf un rêve. Ensemble, ils violeront les lois de Gattaca (la nouvelle morale qu’ils créent tous les deux passe donc par le refus des lois!) : ils renverseront l’ordre génétique. Si on se réfère à la science, il est possible de découvrir que « le terme Gattaca est [...] directement lié à la génétique puisque les lettres composant le mot renvoient aux bases chimiques suivantes : G pour Guanine, A pour Adénine, T pour Thymine et C pour Cytosine1 ». Bienvenue à Gattaca est donc l’histoire de deux hommes qui se servent du système pour mieux le tromper. Dénonciation de l’eugénisme, revendication d’un certain existentialisme, mais surtout un chef d’oeuvre du cinéma d’anticipation par la dystopie présentée grâce à divers moyens techniques tels que les costumes, les accessoires, les personnages, la musique, la sobriété des effets spéciaux, etc. Il en sera étudié deux dans ce billet : l’esthétique de ce long-métrage et les plans de caméra. Les liens entre le concept intrinsèque du film et sa mise en oeuvre seront analysés.


1- L’image : Le caractère rétro
Bienvenue à Gattaca présente une esthétique visuelle bien différente de ce qu’offre habituellement les long métrages d’anticipation. En effet, ici, le public n’est pas transporté dans une cité aux allures technologiquement surdéveloppées ; il n’y a ni robot ni extraterrestre marchant dans les rues. L’ambiance de Bienvenue à Gattaca s’inscrit plutôt dans une veine « années 50 », tant en ce qui concerne les costumes que les accessoires et les décors. Il faut bien comprendre que le réalisateur, Andrew Niccol, a dû fabriquer l’univers de ce film avec un petit budget. Cela lui a toutefois bien servi puisque l’on peut faire ressortir de cette atmosphère minimaliste une solution à ce monde déshumanisé : en relativisant le monde (décors et costumes plus près du passé que du futur), on met en avant la beauté des petites choses. Les choses les plus belles de ce film sont aussi les plus simples, celles que le monde génétiquement modifié de Bienvenue à Gattaca n’a pas pu pervertir : un lever de soleil se reflétant sur une mer de miroirs géants, des vagues sur la plage... Cette esthétique de la simplicité est notamment visible grâce à deux éléments  importants : les costumes et le décor.


1.1. Les costumes : à la Chapeau melon et bottes de cuir.
Il est intéressant de constater que les costumes relèvent carrément plus de la mode élégante des années 50 (surtout de la mode présente dans les films noirs inspirés des polars!) que d’une quelconque excentricité vestimentaire du futur. Les hommes portent des complets très sobres et sombres (nuances de gris, de noir et de brun), et les femmes des tailleurs tout aussi circonspects. Les coiffures correspondent également aux années 50, surtout en ce qui a trait aux chignons des femmes (tendance notamment représentée par le personnage d’Irène qui incarne assez bien le code vestimentaire de l’élite féminine). D’ailleurs, les personnages en eux-mêmes pourraient être qualifiés comme des éléments « vestimentaires » représentatifs de cette société si on s’en tient à leur plastique parfaite. Pensons à Irène qui a un corps parfaitement proportionné, de longues jambes et un visage plus qu’agréable. Dans un monde où les parents peuvent choisir l’apparence physique de leurs enfants, il n’y a rien d’étonnant à ce que chaque membre de l’élite soit aussi beau qu’un mannequin. Dans l’univers de l’élite de Gattaca, tout ce qui est différent est banni : les couleurs, les imperfections physiques, la spontanéité. La mode uniforme et les corps parfaits le montrent bien.

  
1.2. Le décor : l’aseptisation de l’individu.
L’ambiance des années 50 est premièrement et avant-tout un produit des décors. Ceux-ci présentent une architecture lisse et épurée de tous caractères artistiques et humains, d’une logique structurale épatante d’ingéniosité, mais effrayante par son manque de chaleur. Il n’y a qu’à penser aux champs de miroirs capteurs d’énergie solaire qui semblent avoir remplacés toutes formes de végétation. La nature semble d’ailleurs avoir été totalement éradiquée. Les couleurs froides, glaciales et métalliques frappent aussi par l’inhumanité qu’elles projettent sur l’écran. Les nombreux retours en arrière du film, moments marqués par un filtre de couleurs jaunes iridescents nimbant chaque élément du décor, s’inscrivent aussi dans cette tendance en évoquant des sentiments d’irréalité et de souvenirs nébuleux. La chaleur qu’apportent ces quelques scènes de nostalgie mettent encore plus en évidence, grâce à ce contraste, le manque d’humanité qui règne à la grise Gattaca. Aussi, les nombreux accessoires du décor aide à façonner cet univers rétroactif. Par exemple, les voitures sont de vieux modèles qui ont été modifiés pour leur donner un air futuriste, ce qui leur donne une crédibilité effrayante par le rapprochement qu’il est possible de faire avec les voitures de notre époque. C’est ce rapprochement que l’ambiance passéiste exerce tout au long du film : il rappelle ainsi que ce monde n’est pas si éloigné du nôtre, et pourrait fort bien être notre demain. Après tout, le film ne commence-t-il pas par une inscription en incrustation dans le paysage nous indiquant que cette histoire se situe dans un futur rapproché? Quelques éléments bien placés nous indiquent que cette histoire n’est pas encore arrivée : l’énergie solaire en tant que source d’énergie primaire, les technologies d’analyse de l’ADN qui sont plus avancées que les nôtres, et l’escalier de Jérôme Morrow, nargant les personnages avec sa forme hélicoïdale imitant le brin d’ADN, rappellant sans cesse que les gènes sont le fondement même du monde, et la seule façon convenable de s’élever socialement. Bref, l’atmosphère rétro reflète un « futur passéiste en quelque sorte retranscrit dans un conformisme architectural monolithique, une perspective éloignée des habituelles œuvres avant-gardistes que les réalités temporelles finissent par rattraper, creusant du même coup un fossé entre anticipation et réalisation 2».

  
2. Le sentiment de la caméra
Niccol, qui réalise ici son premier long-métrage, manie comme un maître la caméra et les émotions. Les nombreux plans techniques adoptés par la caméra permettent de retranscrire la gamme des émotions de façon encore plus profonde que le jeu des acteurs lui-même (qui font pourtant ici une interprétation exceptionnelle). Si on rajoute à cela une musique (de Michael Nyman) envoûtante et saisissant à la perfection le caractère intrinsèque du film, il est possible de dire que Bienvenue à Gattaca réussit le pari de retranscrire un monde où  le public peut se reconnaître. Pour ce point de l'analyse, par souci de concision, une seule séquence du film sera analysée, la finale, puisqu’elle présente une intensité dramatique soutenue par une technique parfaite qui révèle assez bien le mode de fonctionnement du film.

2.1. Le décollage vers Titan
Sur une musique d’une beauté dramatique s’entrecoupent deux histoires : celle de Jérôme qui grimpe à l’intérieur de son brûleur domestique à déchets, et celle de Vincent qui monte à l’intérieur de la navette spatiale. Pour l’histoire de Jérôme, la caméra est placée à l’intérieur du brûleur : elle l’accompagne dans ce qui s’avère être son suicide. Elle filme en plan rapproché épaule le personnage qui met sa médaille d’argent en un geste solennel. Mais l’histoire de Vincent, que la caméra suit en plan américain de dos alors qu’il s’embarque pour son voyage interstellaire vient rapidement se joindre symboliquement à la première. La porte de la navette se referme en même temps que celle du brûleur à déchets. Le déclenchement de ce brûleur produit des flammes impressionnantes qui sont aussi celles de la navette spatiale. Filmé de l’extérieur du brûleur, un gros plan, puis un très gros plan sur la médaille d’argent qui fond dans les flammes fait bien comprendre que Jérôme meurt dans son auto-immolation. Quant à Vincent, il est assis dans la navette, ému très profondément par son rêve qui se réalise. La caméra, dans un travelling, montre dans un gros plan différents visages. Ce sont les gens qui accompagent Vincent dans son rêve : un homme noir, un homme asiatique, un homme caucasien, une femme asiatique. L’avenir d’un monde génétiquement modifié ne se détermine plus par la couleur de la peau ou le sexe des individus : il n’y a que le contenu du sang et les capacités qu’il permet qui compte. Uniquement ? Non, car Vincent est bel et bien dans la navette. Il ne porte plus ses verres de contact, il a les yeux qui brillent devant sa vie : il est enfin  lui-même. Il ouvre le cadeau que Jérôme lui a donné, une simple mèche de ses cheveux. Symbole de tout ce qu’il a traversé. Symbole de la seule chose qui compte dans ce monde (l’ADN). Symbole de la folie de Jérôme qui ne vivait que par procuration, qui se faisait une mission d’aider Vincent dans son rêve en passant des journées entières à récupérer chaques petits éléments de son corps qui pouvaient servir (peaux mortes, sang, urine, cheveux, etc). Et ces éléments sont désormais tout ce qui reste de lui. Puis, en voix off (non-acousmatique), Vincent prononce les dernières paroles du film — qui sont aussi les seules paroles de cette scène dont les émotions sont exprimées par la musique : « Pour quelqu’un qui n’avait jamais été fait pour ce monde, je dois avouer que j’ai soudain du mal à le quitter. Bien sûr, on dit que chaque atome de notre corps faisait autrefois partie d’une étoile. Peut-être que je ne pars pas. Peut-être que je rentre chez moi ». Ce discours prend tout son sens : le gène ne fait pas l’esprit. L’acquis a autant d’importance que l’inné. Enfin, la musique monte d’un ton, un travelling avant montre le cosmos et les étoiles, et le film se termine sur cette dernière image de l’univers. La beauté de la photographie, la musique sublime, les décors froids et métalliques, et les personnages symboliques de cette scène finale reflètent bien l’esprit entier du film : « Gattaca évoque, par le biais d’une somptueuse photographie, une beauté froide aux arrêtes vives, vide de tout sentiment authentique3 ». Sauf pour celui qui a décidé de vivre son rêve. Cette fin est une des plus belles du cinéma de science-fiction.


En conclusion, Bienvenue à Gattaca s'inscrit dans le genre du cinéma d’anticipation dystopique, et transmet un message grâce aux traitements qu’il fait entre l’idéologie et les techniques cinématographiques. L'esthétique froide montre combien ce monde génoïste est insensible, mais sa musique et son traitement modeste d'une situation paraissant insurmontable en font un film très humain, très beau, et surtout, marquant. Un des meilleurs films d'anticipation selon moi, et le plus réussi sur le plan visuel et musical.

Références
1- GROLLEAU, Frédéric. « Bienvenue à Gattaca (dvd) », LHDM, [Site web] http://www.webzinemaker.com/admi/m1/page.php3?num_web=1489&rubr=2&id=40936
2- [ANONYME]. « Bienvenue à Gattaca », Cinéma fantastique, [Site web], http://www.cinemafantastique.net/film1124,Bienvenue-a-Gattaca.htm
3- GROLLEAU, Frédéric. « Bienvenue à Gattaca (dvd) », LHDM, [Site web] http://www.webzinemaker.com/admi/m1/page.php3?num_web=1489&rubr=2&id=40936

2 commentaires:

dAvId DuKe a dit…

Très beau billet ;)

J'ai vu ce film le mois dernier, j'ai été bluffé. Non seulement c'est brillant du point du vue des idées (Andrew Niccol est brillant, j'ai vu aussi The Truman Show récemment, film dont il est scénariste) mais c'est aussi, comme tu le soulignes, une réussite esthétique que sert le petit budget - encore une fois, on remarque les merveilles obtenues à partir de pas grand'chose : source d'une créativité qu'atteignent rarement les films à grands budgets.
Bref, j'aime.

Mascha a dit…

J'adore the Truman Show, je pense en parler ici un jour. Niccol a vendu le scénario de Truman d'ailleurs afin d'obtenir les maigres fonds de Gattaca.
Comme quoi, la créativité peut surpasser le budget comme tu le dis si bien, et Gattaca n'a pas à se plaindre. Il s'en est bien sorti, le Niccol. :P