samedi 12 février 2011

Le sexe des étoiles - par Paule Baillargeon

Fiche technique
Réalisatrice : Paule Baillargeon
Scénariste : Monique Proulx d’après son propre roman
Producteurs : Jean-Roche Marcotte et Pierre Gendron pour Téléfilm Canada
Année : 1993
Avec : Marianne Coquelicot Mercier, Tobie Pelletier, Sylvie Drapeau, Denis Mercier et Luc Picard.

Résumé (source)
Camille, 12 ans, passionnée par les étoiles, scrute le firmament en implorant le retour de Pierre-Henri son père, dont elle est sans nouvelles depuis cinq ans. Un soir, le père mythique revient... en se présentant sous le nom de Marie-Pierre. Michèle, la mère de Camille, pour qui ce fantôme du passé ravive une immense douleur, essaie en vain de s'interposer. L'adolescente, refusant la transsexualité de son père fera tout en son pouvoir pour le ramener à son identité d'homme, inconsciente de la détresse croissante et du déchirement que vit Marie-Pierre. À l'aide de son copain Lucky, Camille choisira sa voie.

Vous vous souvenez, il y a quelques semaines, j'ai parlé avec passion du roman de Monique Proulx, Le sexe des étoiles? Hé bien, j'ai assisté à une projection publique du film la semaine passée. Euh que dire, si ce n'est que parfois, un chef d'oeuvre littéraire ne devrait jamais être adapté à l'écran...

Les difficultés de l'adaptation : le tabou passe mieux à l'écrit qu'à l'écran

Le roman explore des thèmes tels l’identité sexuelle, l’homosexualité refoulée, le travestissement, la prostitution juvénile et masculine ou l’impuissance sexuelle, vous savez, ces thèmes que certains considèrent être tabous? Bien, le film décide de ne pas trop en parler, voire d'éviter totalement quelques sujets. Oui, il y a une totale différence idéologique entre les deux oeuvres. Le fait est que l'adaptation filmique s'adresse à un large public - elle veut donc moins choquer les éventuels spectateurs.

Déjà, plusieurs éléments du livre ne furent pas adaptés dans la version cinématographique, ce qui change totalement la perception que les gens peuvent avoir du récit. Dans le livre, il y a plusieurs narrateurs. Mais le film s’axe sur Camille, uniquement. Il devient le récit de la petite fille qui devient une jeune femme. L’écrivain impuissant et infertile et la recherchiste en pleine crise existentielle ne sont pas là. L’angle devient donc totalement différent du roman. Cela peut s’expliquer par le fait que le film se veut assez pudique. Il traite de l’identité sexuelle sans trop en parler, et même, sans trop la montrer.

Denis Mercier dans le rôle de Marie-Pierre
Le choix des acteurs est intéressant à regarder de plus près. Le rôle de la transsexuelle, Marie-Pierre, fut offert à Denis Mercier. C’est donc un homme travesti, et non une véritable transsexuelle ou une femme qui interprète le personnage clé du film. Il est toutefois surprenant de constater que Denis Mercier se travestit de façon ridicule pour son personnage : cheveux remontés et frisés à la façon « vieille dame », boucles d’oreille à pince, robe recouvrant tout le corps... Alors que le roman décrit Marie-Pierre comme étant une belle rousse très sensuelle, très à l’aise dans le fait de montrer son corps (en fait, elle ADORE se montrer sous toutes les coutures). La différence est donc flagrante. Cela peut s’expliquer par le fait que le look de Denis Mercier, que l’on appelle communément « de matante » pour utiliser un langage familier, choque ainsi moins les gens que si le personnage se montrait sexy et provocant, voire, exhibitionniste. Aussi, les acteurs jouant Camille (Marianne Coquelicot Mercier) et Lucky (Tobie Pelletier) ont une apparence assez androgyne. On peut voir ce choix de façon très positive puisqu’il symbolise et reflète à l’écran l’identité sexuelle trouble de Marie-Pierre. C’est une chose que le roman ne peut pas faire, mais que le cinéma populaire peut exploiter sans trop de risques (il faut le perçevoir ledit symbole).

L’humour est assez présent dans le roman, puisqu’il joue avec l’humour noir, l’ironie et « le rire à la fois franc et jaune ». Le film, lui, utilise le registre dramatique. Il y a malgré tout une certaine présence d’ironie, mais de façon très éparse. Cela peut s’expliquer par le fait que le drame diminue le tabou entourant le sujet, le rendant « grave », « lourd » et « triste ». Cela aide à le faire accepter, dans le sens où il devient une sorte de sujet « pour pleurer » et avoir de la compassion. De plus, l’atmosphère sombre présente dans le film — symbole du bouleversement ambiant — soutient aussi le côté dramatique. Il y a en effet peu d’éclairage. De fait, elle est ciblée, parlante : elle représente l’intériorité des personnages. En bon enfant, plus l’individu est tourmenté, plus l’obscurité l’entoure. À l’inverse, la lumière des étoiles semblent représenter l’espoir et la beauté. Aussi, les décors sont aussi sombres que l’éclairage, car l’on montre le gris, le noir, ou plus exactement, les bas-fonds montréalais. Cela participe à établir une ambiance dramatique, malsaine lors de certaines scènes « choquantes » (le club des travestis par exemple). Par contre, cette noirceur rend certaines autres scènes magnifiques : quand Camille observe les fameuses étoiles ou quand Marie-Pierre se rapproche de sa fille.

Mariane Coquelicot Mercier (à gauche) et Tobie Pelletier (à droite)
Le langage est un autre facteur de censure du tabou. Après tout, le langage peut choquer les gens avec facilité s’il est vulgaire, violent ou déplacé, voire revendicateur. L’adaptation cinématographique a donc fait attention aux propos qu’elle propose. Ainsi, le langage de Marie-Pierre diffère de celui du roman. En effet, l’oeuvre écrite de Monique Proulx proposait plusieurs registres de langues. La transsexuelle pouvait alors s’exprimer autant comme un grand physicien qui a failli gagner le prix Nobel que comme un travesti-à-la-Michel-Tremblay. Cependant, le long métrage présente un registre différent et unique. Effectivement, Marie-Pierre ne s’exprime que selon un registre neutre, voire soutenu. Comme l’homme que l’on présume qu’elle était avant l’opération : éduqué, bien élevé, pas vulgaire, jamais déplacé. Aucun propos obscène ne vient troubler le public. Les dialogues, quant à eux, font preuve d’une grande maladresse. En effet, la scénariste (Monique Proulx) a dû faire un choix entre oraliser le roman ou retranscrire les mots du livre tels quels. Cependant, elle n’a pas semblé choisir, mélangeant ces deux options. Cela donne un dialogue qui fait décrocher le spectateur. Ce qui, en un sens, rend le sujet du film moins tabou : il devient difficile de prendre les propos au sérieux. Ainsi, Camille qui apparaît comme une enfant surdouée — un grand génie — dans le roman, s’exprime de manière enfantine dans l’adaptation cinématographique. À moins que cela ne soit pas dû aux mots mais au jeu (assez étrange...) de l’actrice? Quoiqu’il en soit, le personnage devient moins crédible : comment une enfant pourrait comprendre une situation si compliquée (si adulte), si son intelligence n’est pas largement supérieure à la moyenne des enfants de son âge?

La fin du film permet de mettre l’accent sur le véritable tabou de l’histoire : le trouble de l’identité sexuelle. Voir Marie-Pierre portant des vêtements d’homme et acceptant l’argent proposé par Michèle soulève de nombreuses interrogations. Est-ce pour rendre la fin plus accessible au public, en ne le choquant pas devant l’affirmation de l’identité sexuelle de Marie-Pierre? Ainsi, on ne propose pas que la transesxualité soit acceptable, ou même, une voie pour atteindre le bonheur. Est-ce plutôt pour montrer le ridicule du refus que Marie-Pierre soit une femme? De la voir vêtu comme un homme donne un choc. Cela peut même sous-entendre que Marie-Pierre n’est pas faite pour redevenir et être un mâle. Et faire ainsi comprendre avec subtilité au public que Marie-Pierre restera une femme. Une autre interrogation est soulevée par la fin. Est-ce vrai que Marie-Pierre s’est trouvé en emploi dans un laboratoire? Rien ne le laisse supposer ou infirmer. Cette fin accentue en ce sens le tabou puisqu’elle évite d’en parler directement. Le film ne montre pas si Marie-Pierre redevient (pas au sens biologique bien entendu, mais au sens social de l’identité sexuelle) un homme ou si elle s’accepte en tant que femme. Le film est sans aucun doute moins subversif que le roman. Il évite de donner une réponse, laissant le spectateur dans le doute. Le laissant même se faire sa propre idée, donc celle qui lui convient peut-être le mieux. Dans le roman, il est clair que Marie-Pierre restera une femme. En fait, la question ne se pose même pas. Marie-Pierre assume son choix, et ce, même s’il lui reste encore du chemin à faire concernant sa vie sexuelle (elle n’est « pas prête »). Le roman n’affirme pas clairement si c’est une bonne chose, mais le personnage le pense. On peut le voir avec sa façon de quitter la ville la tête haute : « elle marchait seule et victorieuse en laissant derrière elle un parfum de créature aérienne, elle s’en allait ailleurs troubler les infaillibles bien-pensants » (p. 328). La tête haute, et Femme.

Marie-Pierre (Mercier), en homme, à la fin de film
En conclusion
En conclusion, on peut affirmer en comparant le roman Le sexe des étoiles et son adaptation cinématographique, que les sujets tabous passent mieux à l’écrit. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en littérature, il en va bien souvent tout autrement avec les sujets difficilement accessibles pour le large public, ne serait-ce que par son public plus restreint ou « instruit » (il faut être alphabétisé pour lire). Un roman permet aussi d’explorer la psychologie des personnages en profondeur, de mêler les tons et permet donc la polyphonie de pensées, ce qui peut relativiser les thèmes difficiles.
Ce film devient donc un produit destiné à un large public que l'on ne veut surtout pas choquer, alors que le roman portait en lui un potentiel immense, à la fois de comédie, de drame et de profondeur. Des situations comme celle-là montre bien les dangers des adaptations lorsqu'on veut faire des choix idéologiques qui lisseront l'histoire jusqu'à lui faire perdre son âme. On perd la substance même de la raison d'être de ce récit pour ne devenir qu'une soupe sans saveur que l'on oublie aussi vite qu'on l'a ingurgité. Et c'est dommage quand on voit jusqu'à quel point le roman marque la mémoire, nous poursuivant durant plusieurs jours.Il y a des ces oeuvres, sans doute rares, que l'on ne devrait soit pas adapter, soit ne pas faire reposer la campagne publicitaire sur le fait que la scénariste est la même que l'auteur du livre. Cette deuxième option créer un horizon d'attente beaucoup trop différent que ce que la réalité propose. De toute façon, le film en lui-même, même sans la comparaison au livre, est un produit fini assez ridicule et trop pathétique pour que ces émotions nous touchent plus de deux minutes. L'éclairage donne une fausse impression de profondeur, l'histoire devient irréaliste par sa façon de ne vouloir choquer personne, la fin rassure les bien-pensants au lieu de remettre le système de pensées en question, le dialogue refuse de croire en lui-même, et le jeu des acteurs est trop suspects, trop théâtrale pour le cinéma. Bref, c'est à se demander comment un tel film a pu représenter le Canada pour la course aux Oscars en 1994...

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