vendredi 11 mars 2011

Les Vacances d'Elvis Gratton - par Pierre Falardeau


Les Vacances d'Elvis Gratton est le deuxième court métrage d'une série de films mettant en scène l'anti-héros, Bob, dit Elvis, Gratton.
Les trois premiers courts métrages furent réunis en un seul film sous le nom d'Elvis Gratton : Le king des kings.
L'analyse du premier court métrage se trouve ici.
L'analyse du troisième se trouve juste ici.

Coréalisés, scénarisés et montés : Pierre Falardeau et Julien Poulin
Avec : Julien Poulin, Denise Mercier, Pierre Falardeau
Année : 1983
Durée : environ 27 minutes

Résumé
Bob Gratton remporte un concours d'imitation d'Elvis Presley, et gagne ainsi un voyage au pays fictif de Santa-Banana. 

Tout comme le film précédent, ce court métrage d'une vingtaine de minutes est intéressant à analyser scène par scène, détails par détails.

Scène 1 : Le film commence immédiatement dans la continuité du court métrage Elvis Gratton qui le précède. Bob a terminé sa chanson, il attend sur scène que l'animatrice annonce le nom du grand vainqueur et gagnant du voyage à Santa-Banana. Elvis Wong, le chinois du premier petit film, se tient à côté de Bob, qui le regarde avec un mépris xénophobe certain. Puis, le verdict tombe : Elvis Gratton est le grand gagnant!
Disons-le tout de suite : Santa-Banana évoque l'expression politique « une république bananière », qui n'est autre qu'une dictature déguisée sous le manteau de république constitutionnelle, bref une sorte de gouvernement fantoche généralement situé en Amérique Centrale. Mais vous savez quoi? Bob s'en fout. Il veut juste se dorer la couenne sous le soleil du Sud.

Scène 2 : Bob et sa femme Linda arrivent à l'aéroport, vêtus de gros vêtements de fourrures ridicules, mais mangeant de la crème glacée... Ils vont se changer, louant des casiers pour leurs habits hivernaux. Hélas, Bob manque de sous. Pressé par le temps, il se rend donc en toute hâte au distributeur de monnaie qui ne fonctionne pas sur le coup... jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'un black guy se trouve à l'intérieur! Mais que faisait-il là? Il travaillait, pardi! C'était lui qui échangeait les billets contre des pièces! C'est que les immigrants ne choisissent pas vraiment leur emploi! Mais qu'à cela ne tienne, le prolétaire aura sa revanche : Bob se rendra ridicule en se battant avec ses vêtements pour les faire rentrer dans le minuscule casier, oubliant de laisser un espace pour ses énormes bottes de poils!!
Pas d'panique, tabarnak!
Oh non! mes bottes!
Scène 3 : Dans l'avion, Bob danse en perdant ses pantalons, en pas-de-classe qu'il est. Il se rassoit pour discuter avec un voisin de siège qui ne veut manifestement pas lui causer. On apprend tout de même que cet homme travaille dans le monde de la lutte.
« Moé, j'ai un garage, un gros garage », lui répondra Bob, tout fier, en écho au court métrage précédent.
Coïncidence, tous les deux séjourneront à l'hôtel El Colonial.
Mais le plus intéressant est à venir.
Après avoir chanté « alouette » en choeur avec les autres passagers, un Français l'interpelle.
- Pardon, vous être Canadiens, demande-t-il. Vous avez l'accent.
C'est ici qu'intervient une des plus célèbres répliques du cinéma québécois. Une réplique à pleurer de désespoir tant le problème identitaire des Québécois y est montré de façon alarmante.


- Je vois, répondra le Français atteint de strabisme.

Cette scène se conclut sur le dentier argenté d'une hôtesse de l'air, et sur la musique célèbre des Dents de la mer...

Scène 4 : ...alors que celle-ci commence sur la même musique, montrant un soldat armé marchant sur une plage bondée de touristes en bikini. Pas de doute, nous sommes bien à Santa-Banana. Il fait chaud. Bob et Linda s'installent avec tout leur attirail de vacances, et leurs costumes de bain du Canada. Bob doit déplier sa chaise de plage, mais se servir de sa tête ne semble pas être son fort (je suis gentille, je vous refile un lien vers ce passage hilarant de stupidités). Comme le couple a oublié leurs cassettes de musique d'Elvis Presley, Bob et Linda décident d'écouter des enregistrements de vieilles parties de Baseball (vous savez, ce sport américain par excellence dont Bob porte un emblême sur sa tête... celle des Expos de Montréal!). Ensuite, moments de baignades entrecoupés de rigolades sur le sable! On en oublie presque les soldats armés en arrière-plan...


Scène 5 : Malades (tourista + coups de soleil assez profond), les amoureux se reposent dans leur chambre d'hôtel à deux étages. Bob décide de regarder la télévision locale.

La première émission montre un prédicateur anglophone (Pierre Falardeau en caméo) exaltant la religion protestante fondamentaliste. Bob est pris malgré lui d'une crise de vomissement durant ce moment.

Puis, Bob zappe à une émission où l'on voit le dirigeant du pays, Augusto Ricochet, un homme ressemblant à s'y méprendre à Augusto Pinochet...
Ricochet explique donc devant le drapeau états-unien que dans sa République de bananes, il n'existe pas d'exploitation. Il travaille avec Washington et le Pentagone après tout... Il déclare ensuite la guerre aux communistes! Vous savez, ces anti-capitalistes qui mettront fin au Coca-Cola, au base-ball, à Mickey Mouse, à Elvis Presley, à Hollywood et à Miami! Bob semble approuver chacun de ces mots. Quant à Linda, elle est trop occupée avec une crise de flatulences pour vraiment porter attention.

Banana or muerte! 

Scène 6 : Des enfants soldats menacent un homme à la peau noire, enchaîné et emporté on ne sait où. Bob et Linda passent à côté de ce groupe en vélo en sifflotant. Tout ce que Bob trouve à dire, en observant le paysage : « J'te dis qu'ils appellent ça Santa-Banana, mais y'a pas grands bananes après les palmiers ». Oui, il ne se rend vraiment pas compte que le peuple ne possède rien, le pays étant une dictature déguisée...
Peu de temps après, le couple croise un quêteur sur le bord de la route de terre. L'homme est mort, probablement de faim, debout sous le soleil. Le tandem réagit comment? En se sauvant en vitesse.

Puis, tout en continuant de rouler en vélo, Bob et Linda commentent ce qu'ils voient.

Bob: Faut-y être assez sans-dessein, hein. Pauvres de même, pis avoir une trollée d'enfants. R'garde, elle est encore en balloune!
Linda: Ils rient tout le temps, j'te dis qu'y ont pas l'air de s'en faire avec ça.
Bob: Tiens, un cochon qui rentre dans la maison!
Linda: C'est-y écoeurant!
Bob: Plus ça pue, plus y'aiment ça vivre dans l'marde! J'te dis que c'est pas comme aux States.
Linda: Ouin. En Floride les chambres d'hôtel sont plus belles.
Bob: Pis y'a pas de coquerelle à part de ça! Tiens! Yé deux heures pis y'a personne su'a route. Ha! Tout le monde est couché. Y'appelle ça la sieste. Ha!

Soudain, ils voient un pauvre homme transportant une charge lourde sur son dos. Leur réaction cette fois-ci? Bob demande à Linda de le prendre en photo avec ce rigolo de Santa-Banana!

Scène 7 : La transition se fait sur une photographie prise sur le bord de la plage, où le couple s'amuse à faire du surf.
La suite de cette scène est peut-être celle dont la signification m'échappe le plus. Bob danse devant tout le monde - dont sa femme - avec une danseuse exotique qui finit par donner des coups de pieds en dansant à ce gros pervers, et à le mettre à terre alors qu'elle élève les bras, victorieuse.
Est-ce la revanche des femmes sur les hommes? Ou celle d'une personne prise dans un réseau de prostituiton crée par des bourgeois à la fois riches et avares (une vingtaine d'années après la sortie du film, il a été découvert que le Canada était à la source de l'immense réseau de prostitution en République Dominicaine - un réseau pour ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre en Nouvelle-zélande). Bon, rien n'indique que cette femme est une esclave sexuelle, mais ses formes généreuses et sa danse en bikini peuvent l'évoquer ou le symboliser.
Ou juste celle d'une personne élégante, pleine de charmes et de beautés qui bat, « surclasse », une personne vulgaire, perverse, grossière et stupide?


Scène 8 : Bob joue au golf, sport de riches par excellence. Malheureusement, ce dernier n'y excelle pas...

Scène 9 : Bob et Linda croisent un garçon qui vend des souvenirs aux touristes, des oiseaux empaillés d'une espèce très rare qui n'est possible d'être chassée que durant la saison des amours sur les montagnes de Sana Valentino après quatre jours de marche dans la jungle. Seul le mâle peut être capturé, avec des fleurs et du chocolat, alors que le chasseur imite le chant d'amour de la femelle. Attiré, le mâle en érection se fait tuer par les chasseurs par strangulation testiculaire... En même temps que le môme débite son laïus sur cette méthode de chasse, on peut voir que ces oiseaux sont en réalité des rats écorchés, peints et couverts de plumes.
Gratton l'achète pour ten dollars.

Scène 10 : Bob et Linda jouent sur la plage à un espèce de jeu de fléchettes qui a été retiré du marché depuis (Edit : j'ai appris depuis que ce jeu se nommait Lawn Darts), on comprend pourquoi en regardant ce court métrage : Linda passe à deux cheveux de tuer Bob en lui envoyant une fléchette dans le crâne. Mais il faut croire que ça prend un cerveau pour mourir d'une telle blessure, car Bob se remet vite. Un bandage autour du crâne, il commande un cocktail au bar de la page : « Heille Pedro! And for me amigo, la pinata di bravo, and you remember me hein, with a lot of rhum. Muchas gracias Pedro! ». Linda, quant à elle, boit un espèce de brevage bizarre à la banane qui ressemble à s'y méprendre à.. au... bien, regardez parmi les images ci-dessous devrait donner une bonne idée de ce à quoi ça ressemble. Bob regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps, alors que Linda s'ennuie de ses émissions télé quotidiennes. Il est bien vrai que Bob aurait bien envie aussi de jouer au bowling avec ses amis. Puis, tout le monde surprend Bob en se mettant à chanter : Happy birthday Elvis! C'est un anniversaire surprise en son honneur! Bob est content.
 


Scène 11 : Tous les touristes sont de retour au pays, à l'aéroport, Bob et Linda en tête. Un douanier bilingue qui ne parle qu'anglais (...) les accueille avec ses formulaires. On remarque que Bob et Linda sont vêtus de rouge avec de gros chapeaux, et ressemble étrangement à l'homme de la police montée (le symbole canadien-anglais par excellence) venue les accueillir à grand renfort de Welcome home!
Le film se termine sur la musique de l'hymne national canadien, et sur l'image du dictateur Augusto Ricohet qui rejoint le policier et semble s'être lié d'amitié avec lui. Il porte la même tenue, indiquant par le fait même qu'il fait partie de la famille.


Bref,
Les vacances d'Elvis Gratton est largement supérieur au premier court métrage en ce qui concerne le rythme et les gags. L'image et le son demeurent toutefois tout aussi vieux, ou plutôt, mal vieilli. Mais il faut dire que le budget fut excessivement restreint (comme c'est toujours le cas avec les films de Falardeau). Ce film fut malheureusement mal compris, étant parfois qualifié de seul production « non-politique » de Falardeau, ce qui est complètement faux, comme nous avons pu le voir dans l'analyse descriptive des scènes, une analyse qui parle d'elle-même. Mais certaines gens, je pense, ne doivent voir que le côté comique d'Elvis Gratton, et en oblitérer, de façon volontaire ou non, le côté presque subversif (mais on aime les film subversifs sur ce blogue ^^). Comme dans tous les autres films de la série cinématographique d'Elvis Gratton, l'attitude bourgeoise, l'américanisation et l'aliénation sociale des québécois colonisés demeure au centre même de l'intrigue, plage exotique ou non.

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