vendredi 22 avril 2011

Le Projet Andersen - de Robert Lepage

LEPAGE, Robert. Le projet Andersen. Préface de Lars Seeberg. Québec, L'instant même, « L'instant scène », 2007, 96 pages, accompagné d'un DVD sur la création du spectacle. 
Pour l’Europe, vendu exclusivement sous l’étiquette Les 400 coups, ISBN 978-2-84596-091

Répondant à une commande de l'Opéra Garnier, un auteur québécois s'installe à Paris, rue Saint-Denis, afin de créer le livret d'une œuvre lyrique pour enfants tirée d'un conte de Hans Christian Andersen. Il y côtoie un administrateur d'opéra aux penchants insoupçonnés, un jeune concierge maghrébin passionné de graffitis, et un chien dont on se demande s'il n'est pas le véritable guide du récit.

S'inspirant librement de deux contes d'Andersen (« La Dryade » et « L'Ombre ») et de quelques épisodes parisiens de la vie du célèbre auteur danois, Robert Lepage explore, dans Le projet Andersen, les territoires troubles de l'identité sexuelle, des fantasmes inassouvis et de la soif de reconnaissance qui se dessinent en filigrane dans la vie et l'œuvre d'Andersen.

Comme toujours chez Robert Lepage, c'est par le voyage, le mouvement vers l'Autre, l'étranger, qu'un Québécois tente de découvrir ce qui le touche et l'anime.

Machineries et merveilles
Pièce commandée par la reine du Danemark pour commémorer le deux centième anniversaire de naissance de Hans Christian Andersen, elle n'en demeure pas moins le lieu d'une exploration à la fois technologique et psychanalytique - oui, ces mots peuvent faire on ménage si on leur en donne la chance - mais surtout près du merveilleux.
Explorant non seulement le concept de la culture en opposition à la nature par le biais de l'opéra contre la pornographie, mais aussi l'opposition entre l'ombre et la lumière en chaque être humain, Robert Lepage livre ici une pièce songée mettant en scène un Québécois explorant son intérieur propre dans un pays étranger, un Français dont la réussite cache en fait un total manque de contrôle sur lui-même et sur ses pulsions, et un Maghrébin en quête d'art et d'équilibre. La création et la destruction se côtoient ici en une parfaite complémentarité, et donnent un sens à la vie des personnages, tous incarnés par le même acteur, Robert Lepage ou Yves Jacques selon les représentations.

Profonde, technologique, onirique et signifiante, cette pièce approfondit une théorie de Robert Lepage voulant que le théâtre explore des voies plus cinématographiques afin que répondre à l'intelligence du public, exacerbée par les films qui poussent toujours les histoires plus loin, tant pour le spectateurs que pour le réalisateur. En créant une pièce dont l'action se déroule aussi vite et de façon aussi complexe que dans un film, on empêche le public de s'ennuyer tout en le respectant dans ses capacités intellectuelles. Car le cinéma devient de plus en plus comme le théâtre, et le théâtre comme le cinéma. C'est une progression, et c'est magnifique. Surtout si cela nous offre des pièces comme Le projet Andersen.


mercredi 20 avril 2011

Homme invisible à la fenêtre - de Monique Proulx

PROULX, Monique. Homme invisible à la fenêtre, Boréal, Coll. Compact, Montréal, 2001(1993 pour la 1ère édition), 239p
Quatrième de couverture
Max, peintre et paraplégique, ouvre son atelier à tous les éclopés de la planète. Mais tout à coup surgit dans la fenêtre d'en face une femme qu'il a connue, qu'il a aimée, et qui l'entraîne là où il ne veut surtout pas retourner...


Mise en contexte
Je me suis enamourée de Monique Proulx dès ma première lecture de son roman Le sexe des étoiles. J'ai récidivé avec Homme invisible à la fenêtre, certaine de retrouver la même beauté derrière les mots, la même tendresse envers des personnages marginaux à la vie difficile. Et quelle merveille ce fut. Il est rare qu'une écrivaine québécoise trouve autant d'écho en moi.
Je me suis même amusée à faire une petite analyse de ce roman. Si vous voulez bien participer à ma passion... ;-) 

Homme invisible à la fenêtre et le corps-monstre
Dans Homme invisible à la fenêtre, le corps devient monstrueux, et même inutile pour sa société, ce qui pose problème. Il n’y a que dans l’art que le corps peut exprimer son existence. Max, le narrateur, est paraplégique. Sur son fauteuil roulant, il peint des corps déformés. Lui-même a les membres déformés, et est  rejeté par sa société. En fait, il faut comprendre que d’une manière générale, le corps possède une structure originelle aux yeux du monde, et chaque petit écart apporte un dysfonctionnement, voire une perturbation de l’ordre établi par les critières de « normalité ». Selon cette optique, le corps est un thème permanent. Pourtant, son envers existe bel et bien : il s'agit de l’exception, de la marginalité, d'une structure s'opposant à l’ordre établi et au corps consacré. Le corps handicapé de Max ne répond plus à la structure du corps normalement admis. Ses jambes et son système urinaire ne fonctionnent plus, une de ses mains est déformée et « rigide ». Il est donc étiqueté comme étant inutile, improductif au monde du travail.

Qu’on se le dise. Le corps normal est blanc, adulte, hétérosexuel, masculin, chrétien. Et productif. Les autres corps, les différents, ne sont pas toujours récupérables. Cela dépend d’eux. Cela dépend de leur aptitude à la domestication, à la soumission de leur degré d’utilité. Sont-ils exploitables, telles les sources naturelles d'une région périphériques?... Alors rien n’est perdu, ils peuvent entrer dans la vaste maison de la normalité — par la porte arrière bien entendu — et s'installer dans le coqueron dont personne ne veut, mais d'où il leur sera loisible d'épier les allées et venus de la visite et de humer les fumets des partys.
Les corps différents posent problèmes à cause de leur improductivité, bien plus qu’à cause de leur différence.(p.71)

Cet extrait révèle non seulement que Max est marginalisé à cause de son improductivité corporelle et monétaire, mais aussi par son refus de devenir un pion du système. Cela dépend de lui ; et il s'y oppose. Dans ce même chapitre, Monsieur Quirion, qui travaille pour un ministère quelconque, vient proposer à Max de peindre des calendriers. Ce dernier refuse. Monsieur Quirion lui demande alors s’il ne voudrait pas vivre dans une maison conçue pour les handicapés. Max refuse de nouveau :

Je lui dis que puisque les gens à lunettes ne se rassemblent pas dans des maisons communes, je ne vois pas pourquoi les gens à chaises roulantes auraient raison de le faire.(p. 75)

Monique Proulx montre ici comment la société qui ne contrôle pas les membres les plus récalcitrants les « enferme » presque dans un lieu qui leur est réservé, dans un décor artificiel ressemblant à leur corps, selon une sorte de faux privilège sous le couvert de la charité :

Maintenant que la charité publique a pris les choses en main, le pittoresque a sacré le camp. Nous sommes devenus une quantité neutre et clandestine, voilée dans les brumes pudiques de l’administration, nous sommes des bénéficiaires adaptés, des handicapés moteurs, de paraquadriplégiques autonomes ou non, des clients en détresse locomotive. Si vous appuyez au bon endroit au sommet de notre tête, nous pouvons hennir ou gargouiller, selon le programme qui nous a été affecté. (p. 75)

Cette maison n’est en fait que la métaphore du monde qui ne veut pas voir sous ses yeux des gens différents physiquement de sa norme, les rejetant de ce fait. Dans ce récit, le corps-décor se reflète dans les lieux d’habitation qui reflète non seulement l'intériorité, mais aussi l'apparence physique de leur propriétaire. Cela crée la marginalisation, bien au-delà de la simple différence :

Ce n’est pas vraiment souffrant, le syndrome de la transparence. On sait qu’on est atteints lorsque les yeux des autres se lovent sur nous comme des limaces ou au contraire détalent à fond de train, ce qui revient au même. Il est périlleux de tester la capacité humaine à affronter calmement l’Anormal. (p. 101)

La peinture, pour Max, devient le refuge idéal : il s’agit d’un métier marginalisé dans lequel il peut explorer les mystères du corps, et même, se servir de celui-ci comme d’un instrument pour expérimenter le réel à travers son art. Son style est empreint d’expressionnisme, car, pour lui, seul ce courant a su explorer le corps humain en profondeur :

Mais jamais l’on ne sera venu si près de toucher l’essentiel qu’à cette époque d’immense détresse sociale où les peintres retournaient l’être humain sur lui-même comme un gant, pour chercher à lire dans sa doublure. (p. 94)

Egon Schiele - Autoportrait

Le peintre préféré de Max est Egon Schiele. Le choix de ce peintre n’est pas laissé au hasard de la part de Proulx, car Schiele produit des cas explorant le corps dans ses moindres parcelles, révélant jusqu'a quel point une particularité physique oeut reflèter la violence de certaines émotions. On peut faire le même lien entre Schiele et Proulx, car cette dernière a enfanté d'un oeuvre où sans cesse le corps est représenté dans une forme à la fois banale et particulier, le corps romanesque devenant le langage spécifique aux personnages. Ceux-ci s'exprime en effet à partir de leurs tripes, de leurs coeurs, de leurs cerveaux, de leurs mains... et s'ils ne le font pas, c'est que l'apparence devient l'objet mpeme des conservations. Pensons au Sexe des étoiles où le corps transexuel permerttait de critiquer et dénoncer certains travers de la société, mais aussi à des personnages de s'épanouir jusqu'à devenir eux-mêmes. Le corps marginalisé par sa déformation et son inutilité sociale possède donc autant la capacité de produire un récit que le corps conforme aux normes. Il peut aussi être l’objet des peintures, et même, en produire. Ce que Monique Proulx cherche à critiquer avec ce roman, c’est le rejet de ce que l’on considère monstrueux, pas tant pour des raisons esthétiques que de productivité. Elle dénonce le fait que l’on a plus d’indulgence pour ce qui fait rouler l’économie que pour les corps inutiles financièrement parlant. Sans sombrer dans l’intransigeance, on peut dire que la charité est une hypocrisie qui ne sert presque qu’à cacher les « déformés ». Heureusement, le propos est nuancé par des personnages (d’origine mexicaines) qui aident Max en lui changeant le pneu de sa chaise roulante, et des Québécois (père et fils) aidant Max à monter six étages d’escaliers, montrant que la charité pure existe bel et bien, mais à petite échelle, et selon une logique qui ne répond pas à celle de l’économie.
Egon Schiele - Masturbation
J'aime la façon dont Monique Proulx nuance sans cesse ses propos. Je crois que là réside la base de son talent. On y croit à ces personnages, à cet environnement.

Bref, dans Homme invisible à la fenêtre, Monique Proulx critique la société qui rejette les corps handicapés qui ne sont pas utiles à la croissance économique, mais qui sont efficaces dans l’art servant à comprendre la nature humaine. Il s'agit d'un excellent roman, palpitant et juste dans sa vision de l'existence. Encore une fois, Monique Proulx fait preuve de talent et d'une grande adresse avec les mots.

vendredi 15 avril 2011

Les Colocs - « Pis si ô moins »

Je ne cacherai jamais mon attachement pour Les Colocs.
Après deux billets sur leurs chansons Tassez-vous de d'là et Passe-moé la puck, voici une petite présentation de Pis si ô moins, une chanson qui demeure toujours autant d'actualité de nos jours, hélas.


Critique du capitalisme sauvage dans d'une société où pour avoir une voix et être entendu ça prend une grosse voiture, Les Colocs osent dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Dérangeant pour les élites et les bien-pensants, Dédé Fortin se range une fois de plus au côté du plus démuni, du plus laid, du plus faible, de celui qui en a beaucoup sur le coeur. Il chante son exaspération devant les guerres perpétrées au nom de l'économie, devant les injustices commises au nom du dieu Pognon. Il chante le refuge créé par la musique, par la drogue et par l'amour contre la superficialité et l'ultra-matérialisme de sa société.

Pis si ô moins

Baise-moé encore
Baise-moé encore pour fuire le monde
Des dominants, des dominés
Des herbivores, des carnivores
Et parlant d'herbe roules-en donc un
Roules-en donc un qu'on redevienne
Qu'on redevienne l'instant d'un spliff
Des souverains improductifs

Je ris au nez des vendeurs d'ordre
Des exploiteurs endimanchés
Distributeurs de cochonneries
Et de bonheurs préfabriqués
Allez vous en au paradis
Bande de téteux pis lachez-moé
Ch'tanné d'entendre toutes vos conneries
Vos saloperies pis vos menteries
Pis d'voir vos yeux ambitionneux
Crier youppie! J'ai réussi!
Ostie

Pis si ô moins
Y'en avait moins
Y'en avait moins de pauvres crétins
En train de s'faire faire un blow job
Au p'tit bureau qui s'trouve en haut
D'la pyramide des affranchis
J'en f'rais des p'tits tout plein cent mille
Merci la vie ben oui, ben oui
Ça s'rait super j'pourrais aller faire
Du kid kodak dedans la belle
Dedans la belle télévision
J'aurais l'air d'un roman savon
Toutes les matantes s'raient toutes contentes

J'dirais ça c'est ma p'tite famille
Ça s'rait parfait pour mon image
« Ah! Qu'c'est don' cute », dirait la fille
À travers de son maquillage

Pis si ô moins
Y'en avait moins
Y'en avait moins de pauvres crétins
Prêts à mourir pour la patrie
Kalishnikov & compagnie
Pour faire rouler l'économie

Pis si ô moins
Y'en avait moins
Y'en avait moins de pauvres crétins
Prêts à mourir pour la patrie
Kalishnikov & compagnie
Pour faire rouler l'économie
Pour faire rouler l'économie
Pour faire rouler l'économie
Adorateur du Dieu profit
Pour faire rouler l'économie
Pour faire rouler l'économie
Pour faire rouler l'économie

Rrrrouler!
Pour faire rouler!
Pour faire rouler!

Bonjour c'est moi l'caméraman, êtes-vous victime de quelque chose?
Ta yeule toé!

Sacrament madame! Pour faire rouler l'économie
Sacrament madame! Pour faire rouler l'économie

jeudi 14 avril 2011

Cassiopée - L’Été polonais de Michèle Marineau

MARINEAU, Michèle, ill. Pierre Pratt, Cassiopée - L’été polonais, Montréal, Québec Amérique jeunesse, coll. Titan, 2006 (1988),195 p.

Quatrième de couverture
Qu'est-ce qu'on fait quand on a presque quinze ans, une mère amoureuse, des rêves plein la tête et qu'on ne veut pas aller dans le camp de vacances choisi par ses parents? Cassiopée, elle, décide de partir pour New York. Toute seule. Sans en parler à personne. Et sans se douter qu'elle s'en va ainsi vers son histoire de mer et d'amour. Vers son été polonais.

Le succès 
Cassiopée - L’Été polonais est le premier roman jeunesse publié par Michèle Marineau. Il lui permit de remporter le Prix du Gouverneur général. Ce roman s’inscrit désormais comme un livre culte de la littérature pour les adolescents au Québec. Cette oeuvre fut même traduite en quatre langues (le suédois, l’espagnol, le catalan et le basque).


Rencontre avec l'auteur
Michèle Marineau partage son temps entre l’écriture et les tournées éducatives auprès des adolescents dans les écoles et les bibliothèques. Je fus moi-même une des ces adolescentes du secondaire visitée par Mme Marineau, il y a de cela plusieurs-plusieurs années. Cette vieille rencontre avait éveillée ma curiosité envers ce bouquin. Je souhaitais vraiment lire un jour une oeuvre écrite par Michèle Marineau. Je me souviens, elle avait raconté anecdotiquement que la raison qui l’avait poussé à écrire ce roman était qu’elle voulait témoigner à ses propres enfants qu’elle aussi avait déjà été jeune, et qu’elle pouvait donc comprendre leurs problèmes, angoisses et joies. Ironiquement, ce roman n’eût pas l’effet escompté puisque ses enfants se sont servis de ce livre pour tenter d’abolir les règlements de la maison (« mais pourquoi nous ne pouvons pas faire comme le personnage de ton livre qui part à l’aventure ?»).

Sa pertinence
Cassiopée - L’Été polonais est un roman pertinent à faire découvrir aux adolescents, car il présente un intérêt de qualité. Ils peuvent s'y reconnaître, et, en plus, il est aussi en voie de devenir un classique de la littérature pour les adolescents (s’il ne l’ait pas déjà) du fait de sa réputation et de son succès.
Cassiopée - L’Été polonais est une oeuvre appréciée des adolescents, mais aussi des adultes. Est-ce parce  que ces derniers se reconnaissent dans cette adolescente qui a la tête pleine de rêves ou est-ce le désir de lire un livre en toute simplicité, sans se casser la tête ? Peut-être un peu des deux. Quoiqu’il en soit, Cassiopée - L’Été polonais a assez de qualités et de richesses littéraires pour plaire à un vaste public, un public qui va au-delà des frontières du pays si l’on se fie aux multiples traductions dont l’oeuvre a été l’objet.


Extrait
Quand j'ai le malheur de me plaindre de mon nom, maman me rappelle que j'ai quand même de la chance d'être une fille parce que, pour un garçon, elle et papa hésitaient entre Neptune et Triton. Bon, d'accord, j'ai échappé au pire. N'empêche que je suis affublée d'un nom que je traîne comme une malédiction. Cassiopée Bérubé-Allard. ABC à l'envers. J'en ai mal au ventre à chaque début d'année. Il faut voir la légère hésitation des profs avant de prononcer mon nom. Leur ton presque interrogateur. (Non, mais, c'est pas une blague ?) Et leurs yeux curieux qui fouillent la masse d'élèves effoirés devant eux. (À quoi peut bien ressembler une fille de douze, treize, quatorze ans qui porte un nom pareil ?) Dans ces moments-là, je regrette tellement de ne pas être grande, mince, avec des cheveux au moins bicolores, des vêtements aux couleurs électriques et des talons hauts comme ça. Pourquoi pas un fume-cigarette, tant qu'à y être ? Ou encore de longs cheveux vaporeux et un petit air romantique et mystérieux. Au lieu de ça, j'ai une tête (et tout le reste) à m'appeler Nathalie ou Isabelle. Grandeur moyenne, grosseur moyenne, cheveux bruns, yeux bruns, lunettes, ni très jolie ni particulièrement laide. Anonyme. Ajoutez à cela des résultats moyens à l'école (sauf en français, mais j'aime ça, je n'ai pas de mérite) et une timidité qui me fait dire des bêtises ou des banalités à peu près chaque fois que j'ouvre la bouche et vous aurez une image assez nette de moi. Déprimant.

vendredi 8 avril 2011

La face cachée de la lune - de Robert Lepage (théâtre)

LEPAGE, Robert, La face cachée de la lune. Québec, L'instant même, « L'instant scène », 2007, 84 pages, ill.

La face cachée de la lune raconte en parallèle la relation tendue de deux frères à la suite du décès de leur mère et la course folle à la conquête de l'espace entre Américains et Soviétiques. Philippe, un éternel candidat au doctorat jaloux du succès de son cadet, présentateur vedette de la météo, se passionne pour l'espace. Souhaitant que sa thèse, portant sur le grand Tsiolkovski, soit publiée, il prépare une bande vidéo destinée à un éventuel auditoire extraterrestre.

Conçu, mis en scène et interprété par Robert Lepage, ce quatrième spectacle solo (après Vinci, Les Aiguilles et l'Opium et Elseneur) est peut-être la plus autobiographique de ses œuvres. La critique a dit de La face cachée de la lune que Lepage y redéfinissait le one man show. Jouant tous les rôles, l'interprète crée, à partir d'un minimum d'accessoires (une planche à repasser, le hublot d'une machine à laver, une étagère), une table, une mobylette, une bicyclette, un appareil de musculation, un engin spatial, un hublot, un bocal à poisson, un téléviseur, dans une poésie de l'apesanteur.

Reprise à la scène par Yves Jacques, la pièce a été adaptée pour l'écran par l'auteur lui-même.

De la Terre à la lune
Après le décès de leur mère, Philippe et André, deux frères, doivent confronter leur idéaux de vie différents dans l'espoir d'une réconciliation, malgré leurs divergences qui les séparent l'un de l'autre comme la Terre est éloignée de la lune. La mère, cette lune sacrée, a toujours été pour eux l'objet d'une compétition, de la même façon que les Russes et les États-Uniens convoitaient l'astre lunaire. Par son image, ils se trouvent confrontés l’un à l’autre, mais c'est aussi grâce à elle qu'ils pourront atteindre la réconciliation. Phillipe fait sa thèse sur le narcissisme dans la conquête spatiale tout en enregistrant une vidéo destinée à d'éventuels extra-terrestres. Mais, au fond, ce qu'il recherche vraiment, c'est une réponse à la question « sommes-nous seuls dans l'univers? » Philippe est lui-même solitaire. Célibataire et orphelin. Il ne possède qu'un frère avec qui il entretient une relation tendue. Le narcissisme, c'est eux qui le vivent, pour obtenir l'amour d'une mère qui les aimait déjà.
La face cachée de la lune, c'est une Guerre Froide entre deux êtres que tout oppose, mais qui doivent surmonter leurs propres solitudes pour se rejoindre dans la fraternité.

mercredi 6 avril 2011

Blow-Up - par Michelangelo Antonioni

Titre : Blow-Up 
Nationalité : Britanno-italo-américain
Réalisateur : Michelangelo Antonioni 
Scénario : Michelangelo Antonioni, Tonino Guerra,
Date : 1966
Avec : David Hemmings, Vanessa Redgrave, Sarah Miles.
La bande-annonce

Synopsis
À l'époque du Swinging London, Thomas, photographe de mode machiste, prend en photo un couple d'amoureux dans un parc. La femme, Jane, s'aperçoit de sa présence, et lui réclame immédiatement la pellicule. Thomas refuse, et rentre chez lui pour développer les clichés. Mais sur les images, plus rien ne semble être comme au parc, où tout paraissait paisible et beau. Des choses qu'il n'avait pas vues alors se manifestent sur les photos.

Chaos et maîtrise
Un film maîtrisé par une main des plus habiles montrant pourtant le récit d'un homme désemparé, seul face au brouillon de l'existence, et dont l'illusion quotidienne est remise en question par un processus douloureux de prise de conscience. Un paradoxe que j'aime bien. Car Blow-Up, un drame psychologique, offre une histoire imagée, de peu de mots, où l'action devient patience, où le drame est intime et intérieur. Pas d'explication de nommée. Antonioni respecte son public. Il laisse des indices éparses tout au long de son récit psychologique. Aux gens de les voir. Mais l'image, ici, est trompeuse.

Illusion et réalités
Blow-up est un film sur l'illusion et la subjectivité des choses. Thomas (Hemmings) est un photographe qui, à l'image de St-Thomas, refuse de croire sans avoir vu. Thomas n'admet que le monde vu par le truchement de son appareil photo. Le doute ne l'assaille pas, car ses photographies le rassurent sur sa réalité. Les démunis souffrent et les mannequins de mode sont beaux. Il la voit ainsi, la réalité. Mais les clichés pris dans le parc lui font peu à peu comprendre que le réel est subjectif. Chacun possède sa vision du monde. Photographier ne fait que créer un sens, et non une réalité. Les signes changent selon la valeur qu'on leur accorde. Thomas doit l'apprendre pour bien progresser dans sa vocation artistique. Après tout, plus on agrandit une image, plus elle devient floue. La certitude de la perception de la vérité se perd alors dans le grain de l'image, et on se met à voir dans les agrégats des choses n'existant peut-être pas.



Et il n'y a pas que l'image qui s'amuse à tromper. Le son aussi se joue de nos sens. Blow-Up offre dans sa scène finale une magnifique pantomime de tennis, dans laquelle Thomas comprend alors la subjectivité de la réalité à l'instant même où il lance une balle invisible... et où des sons imaginaires de tennis retentissent à l'écran. Et si le son et la vue ne sont pas fiables, c'est peut-être parce que la réalité ne se perçoit jamais à l'identique selon les gens. Et plus d'une personne sont nécessaires pour perçevoir quelque chose de tangible. Du moins, la perfection cinématographique de ce film, loin du chaos et du hasard, semble le supposer. Quoique l'ironie veut que l'herbe si verte de Blow-Up soit en réalité couverte de peinture pour donner une impression de réel...

Il en va de même pour les objets. Une perception sensorielle ne possède de signification que selon un contexte précis, et les choses matérielles n'échappent pas non plus à cette loi. Un aileron d'avion en bois prend tout son sens dans une boutique d'antiquités. On se bat pour un manche de guitare dans un concert rock uniquement. Sinon ce sont des déchets, des indésirables à la logique organisationnelle du quotidien. Et l'appareil photo, que devient-il sans le photographe? Et les photographies, que veulent-elle dire lorsqu'on se rend compte que le contexte initial était une illusion? Jusqu'où peut-on les agrandir avant qu'elles ne deviennent un tableau non-figuratif?


Thomas progresse dans son art. Il passe d'un homme vivant sa sexualité par le sens de la vue uniquement (il regarde une femme nue sans jamais ressentir le besoin de la toucher) à un homme pouvant voir et entendre une partie de tennis mimée sans le recours de son appareil. Car la lentille capture l'extérieur, n'évoque l'intériorité que par des interprétations, sans jamais l'expliquer tout à fait. Mais l'homme derrière l'appareil, peut, lui, regarder le monde par ses propres yeux, tout en ayant conscience que son regard n'est qu'un parmi tant d'autres. Après tout, « blow-up » signifie « agrandissement photo », mais aussi « se révéler ».
  

samedi 2 avril 2011

La trilogie des dragons (Robert Lepage)

Pièce de théâtre collective ; Écrite par Marie Brassard, Jean Casault, Lorraine Côté, Marie Gignac, Robert Lepage, Marie Michaud ; Mise en scène par Robert Lepage.

Quatrième de couverture
Au commencement, il n’y avait rien, ou presque. Six acteurs, parmi lesquels le metteur en scène qui les a réunis, deux scénographes, un producteur. Une pièce mythique naît : La trilogie des dragons. Une fenêtre s’ouvre, le théâtre québécois vient de changer. Ce qui était une aventure singulière deviendra un spectacle emblématique. L’invention scénique a désormais un nom : Robert Lepage.
Comme en témoigne le préfacier Michel Tremblay, « voici que l’Asie prenait figure de Grand Ailleurs, d’univers extérieur à nous, où nous avions désormais le droit d’aller vivre des choses importantes loin du centre névralgique de nos rancœurs et de nos inhibitions. »

Pour l’Europe, vendu exclusivement sous l’étiquette Les 400 coups, ISBN 2-84596-075-1


Trois et deux
Cette oeuvre majeure du théâtre, écrite par un collectif d'auteurs et mise en scène par Robert Lepage, et d'une durée de plus de six heures, se divise en trois parties : Le dragon vert (Québec, 1932-1935), Le dragon rouge (Toronto,1935-1955) et Le dragon blanc (Vancouver, 1985). Elles explorent chacune une époque et un lieu différents, et donc, une mentalité différente qui évolue au fil des générations et des rencontres interculturelles. Écrite et jouée en trois langues, soit le français, l'anglais et le cantonais, La trilogie des dragons explore les rapports humains au-delà des barrières terrestres et langagières. Sous l'influence du symbolisme du Yin et du Yang, ressemblances et différences s'équilibrent dans une valse humaine de la fertilité créatrice. Une odyssée humaine qui transcende toute notion de temps et d'espace. Une marche dans les sillons d'une Chine à la fois imaginaire mais bien réelle. Car, « Je ne suis jamais allée en Chine ».