mercredi 20 avril 2011

Homme invisible à la fenêtre - de Monique Proulx

PROULX, Monique. Homme invisible à la fenêtre, Boréal, Coll. Compact, Montréal, 2001(1993 pour la 1ère édition), 239p
Quatrième de couverture
Max, peintre et paraplégique, ouvre son atelier à tous les éclopés de la planète. Mais tout à coup surgit dans la fenêtre d'en face une femme qu'il a connue, qu'il a aimée, et qui l'entraîne là où il ne veut surtout pas retourner...


Mise en contexte
Je me suis enamourée de Monique Proulx dès ma première lecture de son roman Le sexe des étoiles. J'ai récidivé avec Homme invisible à la fenêtre, certaine de retrouver la même beauté derrière les mots, la même tendresse envers des personnages marginaux à la vie difficile. Et quelle merveille ce fut. Il est rare qu'une écrivaine québécoise trouve autant d'écho en moi.
Je me suis même amusée à faire une petite analyse de ce roman. Si vous voulez bien participer à ma passion... ;-) 

Homme invisible à la fenêtre et le corps-monstre
Dans Homme invisible à la fenêtre, le corps devient monstrueux, et même inutile pour sa société, ce qui pose problème. Il n’y a que dans l’art que le corps peut exprimer son existence. Max, le narrateur, est paraplégique. Sur son fauteuil roulant, il peint des corps déformés. Lui-même a les membres déformés, et est  rejeté par sa société. En fait, il faut comprendre que d’une manière générale, le corps possède une structure originelle aux yeux du monde, et chaque petit écart apporte un dysfonctionnement, voire une perturbation de l’ordre établi par les critières de « normalité ». Selon cette optique, le corps est un thème permanent. Pourtant, son envers existe bel et bien : il s'agit de l’exception, de la marginalité, d'une structure s'opposant à l’ordre établi et au corps consacré. Le corps handicapé de Max ne répond plus à la structure du corps normalement admis. Ses jambes et son système urinaire ne fonctionnent plus, une de ses mains est déformée et « rigide ». Il est donc étiqueté comme étant inutile, improductif au monde du travail.

Qu’on se le dise. Le corps normal est blanc, adulte, hétérosexuel, masculin, chrétien. Et productif. Les autres corps, les différents, ne sont pas toujours récupérables. Cela dépend d’eux. Cela dépend de leur aptitude à la domestication, à la soumission de leur degré d’utilité. Sont-ils exploitables, telles les sources naturelles d'une région périphériques?... Alors rien n’est perdu, ils peuvent entrer dans la vaste maison de la normalité — par la porte arrière bien entendu — et s'installer dans le coqueron dont personne ne veut, mais d'où il leur sera loisible d'épier les allées et venus de la visite et de humer les fumets des partys.
Les corps différents posent problèmes à cause de leur improductivité, bien plus qu’à cause de leur différence.(p.71)

Cet extrait révèle non seulement que Max est marginalisé à cause de son improductivité corporelle et monétaire, mais aussi par son refus de devenir un pion du système. Cela dépend de lui ; et il s'y oppose. Dans ce même chapitre, Monsieur Quirion, qui travaille pour un ministère quelconque, vient proposer à Max de peindre des calendriers. Ce dernier refuse. Monsieur Quirion lui demande alors s’il ne voudrait pas vivre dans une maison conçue pour les handicapés. Max refuse de nouveau :

Je lui dis que puisque les gens à lunettes ne se rassemblent pas dans des maisons communes, je ne vois pas pourquoi les gens à chaises roulantes auraient raison de le faire.(p. 75)

Monique Proulx montre ici comment la société qui ne contrôle pas les membres les plus récalcitrants les « enferme » presque dans un lieu qui leur est réservé, dans un décor artificiel ressemblant à leur corps, selon une sorte de faux privilège sous le couvert de la charité :

Maintenant que la charité publique a pris les choses en main, le pittoresque a sacré le camp. Nous sommes devenus une quantité neutre et clandestine, voilée dans les brumes pudiques de l’administration, nous sommes des bénéficiaires adaptés, des handicapés moteurs, de paraquadriplégiques autonomes ou non, des clients en détresse locomotive. Si vous appuyez au bon endroit au sommet de notre tête, nous pouvons hennir ou gargouiller, selon le programme qui nous a été affecté. (p. 75)

Cette maison n’est en fait que la métaphore du monde qui ne veut pas voir sous ses yeux des gens différents physiquement de sa norme, les rejetant de ce fait. Dans ce récit, le corps-décor se reflète dans les lieux d’habitation qui reflète non seulement l'intériorité, mais aussi l'apparence physique de leur propriétaire. Cela crée la marginalisation, bien au-delà de la simple différence :

Ce n’est pas vraiment souffrant, le syndrome de la transparence. On sait qu’on est atteints lorsque les yeux des autres se lovent sur nous comme des limaces ou au contraire détalent à fond de train, ce qui revient au même. Il est périlleux de tester la capacité humaine à affronter calmement l’Anormal. (p. 101)

La peinture, pour Max, devient le refuge idéal : il s’agit d’un métier marginalisé dans lequel il peut explorer les mystères du corps, et même, se servir de celui-ci comme d’un instrument pour expérimenter le réel à travers son art. Son style est empreint d’expressionnisme, car, pour lui, seul ce courant a su explorer le corps humain en profondeur :

Mais jamais l’on ne sera venu si près de toucher l’essentiel qu’à cette époque d’immense détresse sociale où les peintres retournaient l’être humain sur lui-même comme un gant, pour chercher à lire dans sa doublure. (p. 94)

Egon Schiele - Autoportrait

Le peintre préféré de Max est Egon Schiele. Le choix de ce peintre n’est pas laissé au hasard de la part de Proulx, car Schiele produit des cas explorant le corps dans ses moindres parcelles, révélant jusqu'a quel point une particularité physique oeut reflèter la violence de certaines émotions. On peut faire le même lien entre Schiele et Proulx, car cette dernière a enfanté d'un oeuvre où sans cesse le corps est représenté dans une forme à la fois banale et particulier, le corps romanesque devenant le langage spécifique aux personnages. Ceux-ci s'exprime en effet à partir de leurs tripes, de leurs coeurs, de leurs cerveaux, de leurs mains... et s'ils ne le font pas, c'est que l'apparence devient l'objet mpeme des conservations. Pensons au Sexe des étoiles où le corps transexuel permerttait de critiquer et dénoncer certains travers de la société, mais aussi à des personnages de s'épanouir jusqu'à devenir eux-mêmes. Le corps marginalisé par sa déformation et son inutilité sociale possède donc autant la capacité de produire un récit que le corps conforme aux normes. Il peut aussi être l’objet des peintures, et même, en produire. Ce que Monique Proulx cherche à critiquer avec ce roman, c’est le rejet de ce que l’on considère monstrueux, pas tant pour des raisons esthétiques que de productivité. Elle dénonce le fait que l’on a plus d’indulgence pour ce qui fait rouler l’économie que pour les corps inutiles financièrement parlant. Sans sombrer dans l’intransigeance, on peut dire que la charité est une hypocrisie qui ne sert presque qu’à cacher les « déformés ». Heureusement, le propos est nuancé par des personnages (d’origine mexicaines) qui aident Max en lui changeant le pneu de sa chaise roulante, et des Québécois (père et fils) aidant Max à monter six étages d’escaliers, montrant que la charité pure existe bel et bien, mais à petite échelle, et selon une logique qui ne répond pas à celle de l’économie.
Egon Schiele - Masturbation
J'aime la façon dont Monique Proulx nuance sans cesse ses propos. Je crois que là réside la base de son talent. On y croit à ces personnages, à cet environnement.

Bref, dans Homme invisible à la fenêtre, Monique Proulx critique la société qui rejette les corps handicapés qui ne sont pas utiles à la croissance économique, mais qui sont efficaces dans l’art servant à comprendre la nature humaine. Il s'agit d'un excellent roman, palpitant et juste dans sa vision de l'existence. Encore une fois, Monique Proulx fait preuve de talent et d'une grande adresse avec les mots.

2 commentaires:

dAvId DuKe a dit…

Merci pour ton intérêt ;)
Comme le disait mon collègue, je suis en pleine période de concours ; mais j'ai pas mal lu dernièrement, une bonne dizaine d'articles devraient arriver dans deux-trois semaines - j'espère seulement que j'aurai le courage d'écrire tout ça.

Je n'ai pas lu les derniers articles de ton blog (rien depuis...ouh là...King's Speech peut-être... je me rattrape bientôt, promis.

(j'ai d'ailleurs dans mes projets de commencer un blog ciné, ça traine dans ma tête et dans mes notes depuis plusieurs mois déjà...)

Mascha a dit…

Oh pas besoin de me remercier de mon intérêt, c'est normal avec des articles si intéressant. ;-)

Je te souhaite d'avoir le courage de mettre toutes ces lecture par écrit, parce que je sais que cela peut être très long parfois, mais, personnellement, je ne le regrette jamais une fois l'article fini, parce que ce fut un bon exercice intellectuel. ;-)

Ce serait chic un blogue ciné! ^o^