lundi 16 mai 2011

Le miroir se brisa - d'Agatha Christie

Un livre usé dont les pages sentent le papier vieilli, une forte odeur à la fois désagréable et nostalgique, et l'écrivaine la plus lue de la littérature anglo-saxonne après William Shakespeare. Il n'en fallait pas plus pour me convaincre de me plonger dans une lecture détente des plus appréciables.
En fait, je n'avais pas lu de romans d'Agatha Christie depuis mes treize ans (Dix petits nègres, ABC contre Hercule Poirot), sauf, peut-être, lors d'une mauvaise expériences avec Les pendules, il y a environ cinq ans, un souvenir peu mémorable.
Mais je me suis retrouvée plongée malgré moi dans un bassin christinien puisque tombée à la télé sur deux films inspirés des oeuvres de la Reine du crime en moins d'une semaine, et fille d'une mère accro depuis peu à des jeux informatique basés sur lesdits romans policiers. Il fallait donc que je continue la suite logique par la lecture de quelques bouquins...
À la bonne heure, un dieu existe pour les littéraires en détresse : des romans non lus de l'écrivaine populaire se trouvaient sous mon nez, juste là où je ne m'y attendais plus. De vieilles éditions, mais un papier pas trop moisi, donc qui ne lève pas trop le cœur. Parfait.

J'ai commencé par Le miroir se brisa, traduction en français de The Mirror Crack'd from Side to Side, titre inspiré par des vers de Tennyson ci-dessous. Ce titre s'explique par le fait que le récit suit en filigrane le mythe de la Dame de Shalott.

Out flew the web and floated wide-
The mirror crack'd from side to side;
"The curse is come upon me," 
cried The Lady of Shalott.

En français, ces vers donnent :
« Alors, la toile déchirée s'affaissa,
En mille éclat le miroir se brisa
"Malédiction sur moi"
s'écria La Dame de Shalott »

Le roman se construit sous l'intrigue de Miss Marple, détective amatrice et « en fauteuil » (armchair detective), cette deuxième caractéristique se révélant plus vrai que nature dans ce roman où le poids de la vieillesse devient un fardeau pour le corps de la veille dame. La Fortune frappant bien, Miss Marple conserve sa tête et son esprit logique. Elle résoudra donc les récents meurtres du village en restant dans sa maison, subissant la présence énervante de sa domestique trop envahissante. Jane Marple étant donc faussement reléguée au second plan du récit (sniff), ce sont les policiers qui mènent l'enquête de front, nous faisant découvrir des personnages tous plus suspects les uns que les autres.
Christie ne perd pas sa griffe, offrant un roman selon son modèle habituel : un début lent, présentant des personnages colorés, puis un suspense qui apparaît tranquillement, pour ensuite se révéler captivant, au point de ne pas nous faire lâcher le livre. Le tout sur un fond de campagne anglaise où la modernité côtoient la tradition, où, comme aime le rappeler Miss Marple, on voit que malgré tout, «la nature humaine est partout la même».
Une écriture simple, parfois trop, mais jamais facile. L'écrivaine respecte son lecteur, et lui offre une intrigue parsemée d'indices et de faux-semblants pour son plus grand divertissement.
Loin de mériter le titre de meilleure roman d'Agatha Christie, il n'en demeure pas moins un bon livre policier, explorant la petite vie de la campagne et les relations entre les habitants, et les ragots devenant une arme à double tranchant. La vie des gens tristes et célèbres est aussi disséquée à travers les personnages évoluant dans le milieu du cinéma, une première pour un récit centré sur Miss Marple. Toutefois, ce qui différencie ce roman des autres, c'est la progression à la fois psychologique et physique de Jane Marple, ce qui cause une rupture avec les autres aventures de la détective amatrice, et une ouverture vers une progression diégétique nouvelle.
Seul regret : Miss Marple n'est pas assez présente! On veut Miss Marple! :(


Quatrième de couverture
Simplement un tableau…
Le plus petit, le plus inoffensif des tableaux : la Madone portant l’Enfant Jésus.
Tout dans cette peinture respirait la sérénité, la douceur, l’amour.
Alors, pourquoi Marina Gregg contemplait-elle cette séraphique composition avec une terreur folle dans les yeux ?
Miss Marple aimerait bien le savoir et elle ne retournera dans son village de Saint Mary Mead que lorsqu’elle saura.

Extrait
Miss Jane Marple était assise à sa fenêtre. Celle-ci donnait sur son jardin dont elle était si fière, autrefois. Il n'y avait pas si longtemps à vrai dire. Aujourd'hui, elle le contemplait, pleine d'amertume. Tout jardinage lui était interdit. Elle ne pouvait plus se baisser, bêcher ou planter -- seulement, à la rigueur, couper une branche çà et là. Le vieux Laycock, qui venait trois fois par semaine, faisait de son mieux, bien sûr. Mais ce n'était pas grand-chose et il travaillait à sa manière, qui n'était pas celle de Miss Marple. Celle-ci savait exactement ce qu'elle voulait obtenir et en faisait part, régulièrement, à son jardinier. Le vieux Laycock déployait alors toutes les ressources de son génie personnel : il acceptait avec enthousiasme les recommandations qu'on lui prodiguait et n'y donnait aucune suite.
-- Vous avez raison, miss. On mettra ces pois de senteur là, dans le coin, et les Canterbury le long du mur. On fera ça la semaine prochaine.
(Pages 5 et 6)

CHRISTIE, Agatha. Le miroir se brisa, trad. de l'anglais par Henri Thies, Librairie Champs-Élysées, Coll. Club des masques, 1976, 253 p

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