QUENEAU, Raymond. Zazie dans le métro, Gallimard, Coll Folio, Paris, 2008 (1959), 261p
Quatrième de couverture
-Zazie, déclare Gabriel en prenant un air majestueux trouvé sans peine dans son répertoire, si ça te plaît de voir vraiment les Invalides et le tombeau véritable du vrai Napoléon, je t'y conduirai.
-Napoléon mon cul, réplique Zazie. Il m'intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
-Qu'est-ce qui t'intéresse alors?
Zazie répond pas.
-Oui, dit Charles avec une gentillesse inattendue, qu'est-ce qui t'intéresse?
-Le métro.
-Napoléon mon cul, réplique Zazie. Il m'intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
-Qu'est-ce qui t'intéresse alors?
Zazie répond pas.
-Oui, dit Charles avec une gentillesse inattendue, qu'est-ce qui t'intéresse?
-Le métro.
Malheureusement pour Zazie, les poinçonneurs sont en grève, et donc point de métro!
Raymond Queneau lui a pourtant fait visiter le souterrain, dans deux fragments du premier manuscrits, intitulés « Zazie vraiment dans le métro », présentés dans cette édition.
Enfance rebelle
Je souhaitais lire Zazie dans le métro depuis belle lurette. Les histoires d'enfant-méchant, ça m'attire. Les petits morveux apportent du piquant à la littérature. Les cancres, les solitaires, les irrévérencieux, les rêveurs, les téméraires et tous les autres désobéissants à l'ordre adulte créent les meilleures aventures.
Zazie, elle, occupe une place de choix dans l'enfance rebelle : celle de la révolte active. Impolie, sadique et culottée, elle terrifie les adultes de son entourage. Elle démasque leurs secrets. Elle comprend sur l'instant la nature profonde des personnes qui l'entourent. Elle déstabilise avec sa langue qu'elle ne porte pas dans sa poche.
Mais les vérités qu'elle profère ne sont que superficielles. Il manque à Zazie la maturité de saisir les choses dans leur entièreté.
Et c'est là qu'entre en jeu l'allégorie du roman : le métro.
Métaphore de la vie adulte
Le métro. Que Zazie ne peut pas prendre pour cause de grève. Est-ce un faux rebondissement narratif d'une simplicité naïve?
Non.
Au départ, Queneau écrivit deux passages textuels se déroulant dans le train souterrain. Mais comme il craignait que le temps et la modernité rendent ces descriptions obsolètes, il les supprima de son manuscrit (d'ailleurs, la présente édition est augmentée des ces fragments à la fin du livre).
Mais au-delà des questions de style, le métro métaphorise la vie adulte que Zazie désire atteindre, en vain.
Zazie est une ingénue qui fourre son petit nez partout afin de tout comprendre. Les derniers mots du livre, en particulier, sont très parlant à ce sujet :
- Alors, tu t'es bien amusée ?
- Comme ça.
- T'as vu le métro ?
- Non.
- Alors, qu'est-ce que t'as fait ?
- J'ai vieilli.
En fait, elle a pris le métro, mais elle dormait à ce moment. Tout comme l'innocence quitte l'enfant sans qu'il ne s'en rende compte, et le fait entrer dans l'ère adulte.
Jeux de langage
J'ai appris une nouvelle expression grâce à ce roman :
Provincial/e
1) Qui appartient à une province, qui concerne une province.
2) (Péjoratif) Qualifie l’air, les manières, le langage, etc., des personnes de province, par opposition à l’air, aux manières, etc., des habitants de la capitale.
Air provincial. — Manières provinciales.
Langage, accent, style provincial. — Les mœurs provinciales.
Note d’usage : Au Canada, le sens 1) s'oppose à fédéral et, dans un autre ordre, à municipal.Le sens 2) n'est pas usité au Canada.
Source : http://fr.wiktionary.org/wiki/provincial
Je parle du deuxième sens, évidemment. Zazie est une « provinciale ». Et pourtant... les Parisiens qui l'entourent ne semblent pas plus distingués. Alcooliques, ignorants, travestis, violeurs, manipulateurs, menteurs, mais tout de même sympathiques pour la plupart, ils entraînent Zazie dans une aventure décalée et tout bonnement incroyable, qui nous fait découvrir un Paris d'époque avec moult détails.
Toutefois, ce ne sont pas les péripéties, mais les jeux de langages qui m'ont le plus attirée dans ce roman.
L'écriture calque la langue parlée, ce qui offre de petites merveilles linguistiques, tels « doukipudonktan », « hormosessuel », « bloudjinnze » ou « le bâille-naïte de cette cité ». Le roman en est remplies. Pour ma plus grande joie. À chaque page. Et disons que lire certains passages à voix haute aide à mieux les comprendre. Et pour qu'un livre donne envie de lire à haute voix, c'est qu'il est génial. ^^
Pour conclure, Zazie dans le métro, roman d'apprentissage truffé de jeux de mots et de descriptions de l'ancien Paris, se lit comme on mange du chocolat. On voudrait le faire lentement, mais on ne peut pas.
Extrait
« - Alors ? Pourquoi que tu veux l’être, institutrice ?
- Pour faire chier les mômes, répondit Zazie. Ceux qui auront mon âge dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille, toujours des gosses à emmerder.
- Eh bien, dit Gabriel.
- Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l’éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec des grands éperons pour leur larder la chair du derche.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d’après ce que disent les journaux, c’est pas du tout dans ce sens-là que s’oriente l’éducation moderne. C’est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension, la gentillesse. N’est-ce pas, Marceline, qu’on dit ça dans le journal ?
- Oui, répondit doucement Marceline. Mais toi, Zazie, est-ce qu’on t’a brutalisée à l’école ?
- Il aurait pas fallu voir.
- D’ailleurs, dit Gabriel, dans vingt ans, y aura plus d’institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l’électronique, des trucs comme ça. C’était aussi écrit dans le journal l’autre jour. »
- Pour faire chier les mômes, répondit Zazie. Ceux qui auront mon âge dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille, toujours des gosses à emmerder.
- Eh bien, dit Gabriel.
- Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l’éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec des grands éperons pour leur larder la chair du derche.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d’après ce que disent les journaux, c’est pas du tout dans ce sens-là que s’oriente l’éducation moderne. C’est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension, la gentillesse. N’est-ce pas, Marceline, qu’on dit ça dans le journal ?
- Oui, répondit doucement Marceline. Mais toi, Zazie, est-ce qu’on t’a brutalisée à l’école ?
- Il aurait pas fallu voir.
- D’ailleurs, dit Gabriel, dans vingt ans, y aura plus d’institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l’électronique, des trucs comme ça. C’était aussi écrit dans le journal l’autre jour. »