jeudi 16 février 2012

Fahrenheit 451 - par François Truffaut

Réalisé par François Truffaut ; Produit par Lewis M. Allen ; Basé sur le roman de Ray Bradbury ; Son par Norman Wanstall ; Musique par Bernard Hermann ; Sorti en 1966
Avec Oskar Werner et Julie Christie
La bande-annonce

Synopsis
Dans une ville imaginaire, à une époque indéterminée, des pompiers chargés de représenter l’autorité et l’obéissance aveugle aux lois traquent ceux qui lisent et possèdent des livres. Dans ce monde totalitaire, où le désir et tout ce qui l’amorce est interdit, règne un culte de l’audiovisuel et un conformisme ambiant. L’histoire de ce film ne concerne pourtant non pas un résistant de ce système, mais un pompier prometteur, du nom de Montag, qui fait la connaissance de Clarisse, sa voisine (une anticonformiste). Un jour, celle-ci lui demande s’il est heureux. Cette question, à première vue anodine, entraînera Montag dans une remise en question de lui-même qui le poussera, non seulement à être dégoûté de son mode de vie avec sa femme Linda, mais aussi à lire un livre...


Mon analyse d'un monde sans lecture (contient des spoilers)
Je vous offre un point de vue personnel sur un de mes films favoris : Fahrenheit 451, une adaptation de François Truffaut datant de 1966 inspiré par le roman de Ray Bradbury. L'histoire d'une société qui interdit la lecture...

1. Tabula rasa
Fahrenheit 451 dépeint une société qui a renié son passé : elle brûle la sagesse et la mémoire des ancêtres contenues dans les livres ; elle se coupe de sa propre enfance en considérant les enfants comme des êtres indésirables nuisant au travail et à la vie de couple – bien que nécessaires à la perpétuation de l’espèce humaine – ; elle aseptise les désirs, source des rébellions, en encourageant les gens dans leur propre narcissisme (tout au long du film, les gens font preuve d’un autoérotisme déconcertant – pensons à la jeune fille qui embrasse son reflet sur la vitre du tramway, à la dame qui caresse son manteau de fourrure ou à Linda qui touche beaucoup à sa poitrine et à ses épaules). En plus de faire table rase de son passé, elle nivelle son présent afin de s’assurer que nul ne dérange l’ordre établi. Pour cela, elle se sert de l’audiovisuel. La télévision, à la base objet de transmission de la connaissance, un véhicule de la tolérance et du partage des valeurs, devient ici un objet d’abâtardissement intellectuel, une machine de l’intolérance envers les différences, et qui impose qu’une seule et unique vision du monde à ses fidèles téléspectateurs.

Linda et ses amies se divertissent ensemble
2. Une science-fiction revisitée
En plus de montrer ce monde sans Histoire, Fahrenheit 451 déconstruit les codes du genre cinématographique dans lequel il s’inscrit : le cinéma d’anticipation. En effet, ce film ne présente ni de « vilains méchants » contrôlant impunément et ouvertement le monde ni une pléthore d’appareils futuristes révolutionnaires. Non. Fahrenheit 451 montre plutôt une société où la tyrannie est celle de la ressemblance, une dictature douce qui s’effectue par le vide intellectuel. Son époque est même impossible à situer dans le temps et l’espace puisque aucune indication sur l’époque ou sur le lieu n’est donnée. Fahrenheit 451 est aussi un film aux couleurs chaudes, contrairement aux autres film du genre qui ont des couleurs froides qui évoquent la robotisation. Le monde de Fahrenheit 451 n’exclut pas totalement la nature non plus. Il est même possible d’y voir que la déshumanisation n’y est pas totale. En effet, on peut prendre l’exemple suivant qui montre que les relations entre les humains existent toujours : Clarisse aborde Montag dans le tramway de façon véritablement naturelle, et cela ne surprend personne. Ce film revisite donc la science-fiction en abordant de façon différente le traditionnel style du cinéma d’anticipation. Les points qui seront abordés permettront de montrer comment, d’un point de vue technique, le traitement du genre permet au film de montrer la dictature de ce monde où la lecture est interdite. Pour cela, les costumes, les décors et le son seront analysés.

3. Les costumes : la tyrannie de la ressemblance
Le monde de Fahrenheit 451 est régit par l’uniformisation. Le lois en vigueur dans ce pays ne servent qu’à rendre tout le monde « égal » (il est intéressant de constater que l’emploi de ce mot fait de la différence un facteur d’auto-discrimination sociale de la part de l’individu anticonformiste) : « On doit tous être pareil. Pour être heureux, on doit tous être égaux. Donc, nous devons brûler les livres, Montag. Tous les livres ». C’est ce prétend le capitaine des pompiers, un exemplaire de Mein Kampf à la main. Cette uniformisation générale a un effet très distinct sur cette société : elle empêche d’appliquer les désirs (et, à long terme, finit par les détruire) et anéantit la revendication. La tyrannie de Fahrenheit 451 fait en sorte que tout se ressemble et se répète. Les costumes reflètent cela. Les gens semblent tous suivent la même mode (une mode colorée et géométrique assez proche de celle des années 60, à quelques différences près comme des attaches en velcro sur des robes d’adultes). Les exceptions sont vite réprimandées. Par exemple, il n’y a qu’à penser à cette scène où la cousine Claudette, animatrice de télévision, commente une émission qui montre des pompiers qui attrapent un jeune homme aux cheveux longs et qui lui coupent de force : « Mais certains garçons boycottent encore le coiffeur. Ici une équipe de nettoyage s’occupe d’un de ces je-sais-tout mal coiffés. Tout cela pour vous montrer que le travail de police peut être amusant ». Cette émission télévisée se termine sur des adolescents heureux de leurs coiffures qui les rendent comme les autres. Dans ce monde, tous portent le même genre de vêtements et de coiffures. Toutefois, les costumes les plus frappants sont ceux des pompiers : leur uniforme de travail est en tissu noir très épais accompagné de bottes et de gants en cuir tout aussi noir. Une impression d’autorité et de mort (intellectuelle ?) se dégage d’un tel uniforme. Il est dit, et ce, dès le début du film, que ces habits font généralement peur aux gens. Ils évoquent la loi toute puissante qu’il faut suivre sous peine de réprimande. Ils évoquent l’esprit d’uniformisation qui règne dans ce film.

Montag et Clarisse qui discutent
4. Les décors : rien de concret, si ce n’est la banalité
François Truffaut a fait un choix au moment du tournage. Il voulait faire de la ville où se déroule l’action de Fahrenheit 451 un endroit à la fois familier et étranger pour le public : « Il s’agit de traiter une histoire fantastique avec familiarité, en rendant banales les scènes trop étranges et anormales les scènes quotidiennes ». Et un tournemain habile, il a rendu ce monde, bien que futuriste, impossible à situer dans le temps. En effet, dans cette ère inconnue, les appareils modernes (le tramway « inversé », les téléviseurs muraux, les maisons ignifugées, etc) côtoient des objets aux allures anciennes (de véritables téléphones antiques [à cornets!], les maisons décorées avec des meubles à la mode à l’époque du film, dans les années 60, etc). C’est un véritable catalogue du quotidien de cette société qui nous est exposé. Cela permet de produire un effet de familiarité assez inquiétant. Peut-être que les repères familiers de Fahrenheit 451 nous disent-il que ce monde est plus près de nous que ce que l’on imagine ? Après tout, les héros de ce films et leur univers sont aussi banaux que M. et Mme tout-le-monde. Enfin, presque, puisqu’un objet par-ci par-là vient tout le temps nous rappeler le caractère futuriste de ce film. Quoiqu’il en soit, grâce à cela, Fahrenheit 451 à la force de transporter ailleurs sans faire perdre à l’esprit que cette société pourrait être la nôtre. De plus, l’univers de ce film est aussi impossible à situer dans l’espace. En effet, aucun nom de pays n’est évoqué. Le public ignore où se déroule l’histoire inquiétante de ce peuple à l’autodafé livresque quotidien! En fait, il est possible de se rendre compte du fort accent britannique des personnages. Cependant, dans un absolu, cela ne permet pas de situer cette histoire en Angleterre puisque rien d’anglais ne transparaît dans ce monde stérilisé de toute distinction. Peut-être que cet accent sera celui du monde futur ? Nous ne sommes certain de rien devant cette société sans passé et sans Histoire.... et donc sans identité! En plus de tout cela, il y a une facette du décor qui est fascinante : la nature. En effet, contrairement au code classique de la science-fiction qui consiste à montrer des univers sans végétation (sauf dans le Space Opéra où l’on aime bien montrer des civilisations sauvages sur des planètes lointaines), où l’humain s’est empressé de perdre tous liens avec la nature par crainte de celle-ci. Ici, la nature existe encore. Reléguée au simple statut de beau décor dans cet univers où les apparences comptent pour beaucoup, certes, mais le symbolisme de cela est tout de même à prendre en compte. L’audiovisuel est le nouveau culte, il domine les aspects spirituels, intellectuels, sociaux et familiaux de la vie des gens. Mais ne dit-on pas que des hommes-livres (libres) vivent dans la forêt, quelque part au-delà de la rivière ? En effet, un groupe de rebelles pacifistes s’est installé au coeur des bois, et y vit en toute simplicité. Totale ? Non, puisque ces gens regardent encore la télévision pour se tenir au courant de l’actualité, et communiquent entre eux grâce à des talkies-walkies. Ils conservent donc des objets de communication. Mais le reclus de la société actuelle passe par un retour à la forêt, un retour aux valeurs matérielles primitives (les valeurs humaines n’y sont toutefois pas retrouvées, car le désir physique semble être inexistant en ce lieu où tout le monde marche sans se toucher et se regarder. Il s’agit ici d’une « utopie décharnée »). La nature reste donc à apprivoiser, mais elle n’est pas reniée non plus au sein de la société des hommes-livres.

La société des Hommes-Livres
5. Un film sonore où la parole est interdite
La symbolique de la parole est importante dans ce film puisqu’il s’agit d’un monde où la parole permet de prendre le pouvoir ou de le revendiquer. Truffaut a réalisé un film où la parole n’a aucun pouvoir réel sur les images, mais où elle a a plutôt une fonction dramatique, psychologique informative et affective. Il n’y a qu’à penser au générique d’ouverture du film qui est si surprenant : au lieu de noms visibles à l’écran, un narrateur (en voix off) se contente de nommer ceux grâce à qui ce film a vu le jour, et ce, sur des images surcolorées d’antennes télévisées toutes plus variées les unes que les autres. Ce concept entre dans la logique narrative de ce film qui nous présente un monde où l’écriture et la lecture est proscrite. Ce concept entre le son et l’image, qui fait la cohérence du film, est aussi la grande force de Fahrenheit 451. Pour cela, les effets sonores seront décortiqués sous ses deux principaux aspects techniques : la musique et le son.

5.1. Quelques mots sur la musique
Il est curieux de constater que la musique qui donne vie à Fahrenheit 451 ne ressemble pas du tout à celle plus « traditionnelle » des films de science-fiction, celle avec de froids effets futuristes qui rappellent soit les robots, soit l’espace. Bien au contraire, la bande sonore correspond à la tendance des années 60, moins symphonique et plus « populaire ». Malgré ce désintéressement social à employer de la musique qui s’inscrit dans « la tradition orchestrale romantique européenne », la bande originale du film demeure riche, vivante et caractéristique. Tout cela s’explique par une décision du réalisateur : « J’ai voulu éviter tout dépaysement systématique. C’est pourquoi j’ai demandé à Bernard Herrmann une musique dramatique de type traditionnel sans aucun caractère futuriste ».

Le monorail futuriste
5.2. L’harmonie du son et le l’image
Comme évoqué plus tôt, la cohérence entre le son et l’image fait la force de ce film de Truffaut.
D’abord, il y a deux sortes de « bruits » qui participent à la richesse du film : les mécaniques et les organiques. Les mécaniques réfèrent à tous les appareils technologiques qui servent au caractère futuriste du film. Ils montrent la déshumanisation ambiante qui s’est emparée de ce monde. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’ils servent surtout à donner un rythme et une structure au film. En effet, ils indiquent souvent un événement et permettent des transitions de scènes (ex : la sirène des pompiers indiquent un autodafé futur, le grichement du téléviseur lors de la tentative de suicide de Linda ajoute une tension quasi-inhumaine à l’événement, etc). Les sons organiques, c’est-à-dire plus humains et naturels, voire artisanaux, sont moins fréquents, mais tout aussi importants, puisque cette rareté rend leur introduction plus réaliste (et permet parfois une introduction dramatique avec, par exemple, le bruit des pages des livres qui brûlent). De plus, l’idée de Truffaut de faire de Fahrenheit 451 un film où le fond sonore est très épuré et où les sons entendus sont souvent les mêmes sert à créer un sentiment de contrôle, comme si le totalitarisme de ce monde dirigeait même les bruits. À certains moments, la répétition des sons évoque même un esprit zombifié, en l’occurrence celui des habitants de cette ville soumise à l’audiovisuel. « Vous appelez “ça” la vie ? Vous n’êtes toutes que des zombies. Comme vos maris que vous ne connaissez même plus. Vous ne vivez pas, vous tuez le temps! », s’exclamera même Montag aux amies de sa femme qui ne discutent que de sujets vides de sens devant le téléviseur. À l’image de ces gens qui ont oublié comment réfléchir par eux-mêmes à force d’accepter ce que la télévision leur propose les sons structurent le rythme du film, son espace diégétique et son temps linéraire sous un sentiment de contôle très puissant. Aussi, l’analyse des sons acousmatiques révèlent que la plupart des voix relèvent d’une mise en scène riche en sens. En effet, les bruits dont la source n’est pas visible à l’écran constituent un univers sonore important dans la logique narrative qui veut que les appareils de communication remplacent l’humanité dans ce monde narcissique. En effet, ce genre de sons provient surtout des hauts-parleurs, de la télévision et des téléphones! Quant aux sons qui fabriquent les ambiances extérieures (acousmatiques eux-aussi), ils sont peu nombreux et servent autant à transcrire le réalisme des scènes que des émotions. Par exemple, il y a des chants d’oiseaux qui font penser qu’il y a encore de la résistance face à cet esprit de dénaturalisation de l’espace. Mais, ces chants si rassurants deviennent angoissants lorsque leur absence se fait sentir dans la scène où la vieille dame s’immole par le feu : une scène qui montre l’autorité des pompiers sur la liberté de penser. Aussi, une scène intérieure est intéressante à analyser du point de vue des sons acousmatiques : celle de l’école. L’enfance, thème cher à Truffaut, n’est pas totalement exclue de ce monde qui préférerait s’en passer. La solution trouvée par ce gouvernement pour empêcher l’émergence d’une créativité ou d’une mentalité nouvelle chez ces jeunes esprits pas encore tout-à-fait abâtardisés par la télévision est la suivante : des formules mathématiques et scientifiques ingurgitées de force sans aucune possibilité de développer sa capacité de résonnement derrière cela. Les enfants récitant sans cesse les mêmes tables des multiplications forment le fond sonore de cette scène qui, pourtant, ne montre pas une ribambelle d’enfants dans le cadre de la caméra, mais seulement deux. Cela s’appelle une projection de l’entendu sur le vu, et crée une grande cohérence, encore une fois, entre l’image et le son. 

Les pompiers qui allument les autodafés
Conclusion
En conclusion, une société sans Histoire est sans identité. Ainsi, tout le monde se conforme, puisque nul ne sait vraiment qui il est (ni d’où il vient ni où il va). Fahrenheit 451 montre une société totalitaire où la parole et le désir sont interdit afin que l’ordre se maintienne. Et puisque les livres sont porteurs de messages qui contredisent les valeurs de cette société, ils sont détruit. Montag devra les lire pour se rendre compte que ce ne sont pas eux qui sont subversifs, mais bien l’État et son contrôle. On lui a menti toute sa vie en l’empêchant d’être heureux et accompli. Sa fuite hors de la société montre son désir de renier ce monde, et de recommencer une nouvelle vie.

3 commentaires:

Allie a dit…

J'ai vu le film quelque fois et lu le livre à plusieurs reprises. C'est une œuvre, tant la l'écrit qu'au cinéma, qui me plaît énormément, pour tous les questionnements qu'elle implique. Je trouve ton analyse vraiment intéressante, j'aurais été bien en peine d'analyser ce film. Tu me donnes envie de le revoir d'ailleurs... Pour une Xieme fois!

Liphéo a dit…

J'ai lu ce livre, mais je ne savais pas qu'il avait été adapté en film. Il va falloir que le regarde, il a vraiment l'air bien ! :)
A bientôt !

Mascha a dit…

Allie : merci à toi pour ton commentaire. :)
Moi aussi je l'ai vu un nombre incalculable de fois. ;)

Liphéo : il y a eu deux adaptations en fait. Celle-ci date de 1966. ;)