vendredi 29 juillet 2011

Karkwa - « Marie, tu pleures »

Comme j'ai manqué de temps pour écrire sur cet espace virtuel ces derniers-jours à cause de mon déménagement (nous sommes rendu à l'étape peinture), je vous partage une autre magnifique chanson de Karkwa!

Marie, tu pleures

Marie tu pleures pour rien
Marie ton cœur revient

Marie tu peux sortir
T'as traversé le pire
Même s'il grêle au milieu de juillet
Même s'il tu mêles tes cheveux défaits

Marie les jours avancent
Marie l'amour balance
Même s'il grêle au milieu de juillet
Même si tu mêles tes cheveux défaits

Marie tu pleures pour rien, revient.

Après il fait soleil
Après il grêle
Après il neige
Après il fait soleil
Après il grêle
Après il neige
Après il fait soleil
Après il grêle..

vendredi 22 juillet 2011

Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants - de François Gravel

GRAVEL, François. Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants, Québec/Amérique, coll. Littérature d'Amérique, Montréal, 1991, 216p

Quatrième de couverture
Une offre à la fois alléchante et embarrassante lance un jour le narrateur dans une enquête qui le ramènera plusieurs années en arrière, jusqu'avant l'époque où il il était bassiste pour les Black Stones. Qui ou que trouvera-t-il réellement au terme de cette recherche ?

Ce cinquième roman de François Gravel, construit comme un mécanisme d'horlogerie, dévoile la tendresse et l'amitié qui se dissimulent sous l'ironie ou le cynisme de son personnage. La puissance des formules-chocs y alterne avec la finesse, comme les pleins et les déliés d'une très belle écriture à la plume.



Mon commentaire
François Gravel a enchanté mon enfance grâce à sa série de livres jeunesses Klonk. Lors d'une biblio-vente, en tombant sur un de ses romans pour adultes, je me suis dit que je pouvais tenter le coup. Ce genre d'expérience livresque demeure toujours intéressante : l'adulte sera-t-elle aussi satisfaite que l'enfant? Après lecture, je peux affirmer avec enthousiasme que l'auteur passe le test haut la main. ;)

« Y a-t-il quelque chose de plus insignifiant que la vérité ? Oui : être obligé de la raconter ». (p.21)

Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants fut écrit en 1991. À cette époque (fin des années '80, début des '90), un mouvement littéraire se répandait au Québec parmi la jeunesse, mouvement qui fut nommé La désespérance. Les romanciers de la désespérance, tous de la génération X, exploitaient le thème de l'artiste marginal ne trouvant pas sa place dans cette société conçue par et pour les baby-boomers. Le résultat final, cynique, sombre et désespéré, montrait les ravages et dégâts laissés à la génération X par la précédente. Récits difficiles à lire, la seule et unique beauté se trouvait dans le refuge des mots, des arts et de la sexualité sans amour. Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants me fait beaucoup penser à ce genre, s'y inscrivant en plusieurs points : le cynisme du personnage principal laisse peu de place à l'imagination. L'idéalisme déçu de personnage montre un certain regret de l'intelligence et de la lucidité, car l'ignorance apporte le bonheur, c'est bien connu. Pourtant, derrière ce regard froid et dur sur la vie, on sent un désir de changer, de s'améliorer... d'être heureux. La progression psychologique du protagoniste, principal moteur de ce récit, va vers le haut, et non vers le bas toujours plus sombre. Il évolue vers la tranquillité d'esprit, se rendant compte que son cynisme est la véritable cause de sa stagnation. L'autre point qui dissocie ce livre du roman de la désespérance malgré sa tendance au désespoir, c'est le fait que François Gravel est un Baby-Bommers authentique. Son plus célèbre roman, Klonk, est un véritable hommage aux années '60. Il en va de même pour celui-ci, où la nostalgie de cette époque se ressent jusque dans le titre : les Black Stones, groupe de musique rock dont le protagoniste était le bassiste, se réunit une fois par année avec tous les membres (et certaines groupies) afin de « revivre le bon vieux temps » si on me permet l'expression populaire. On est loin de la société bloquée et no futur des X.
Et pourtant, tout au long de ma lecture, je ne cessais de voir des liens avec les romans de la désespérance. Le ton rend la lecture difficile. J'ai été obligé de le faire à petite dose pour ne pas trop déprimer. Mais plus je tournais les pages, plus je me prenais à l'histoire. Je me croyais presque dans un film de Woody Allen par moment. Surtout lorsque l'institution littéraire s'en prenait plein la gueule par ce personnage de nègre désabusé par rapport à propre domaine et pris malgré lui dans un contrat d'écriture qui changera à jamais son existence.
Malgré les moments de lecture difficiles, je relirais pour une deuxième fois Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants avec plaisir.

Extrait
[...] Moi aussi j'ai fait dans la littérature. J'étais jeune, encore à l'université. On m'y avait appris qu'il fallait à tout prix faire éclater la structure du récit, à défaut de faire éclater la bourgeoisie. J'y ais cru. Mon premier roman n'avait pas de personnage principal, je n'y racontais pas d'histoire et, pour faire plus éclaté encore, il n'y avait même pas de ponctuation. Par quel échafaudage dialectique en étions-nous arrivés à décréter que l'usage de la ponctuation était une tare bourgeoise? Le mystère reste entier. Je faisais semblant de comprendre, comme tout le monde, le temps d'avoir un papier. Personne ne devrait être tenu responsable des actes et des paroles qu'il a commis pendant la durée de ses études universitaires. On devrait invoquer les circonstances atténuantes et décréter une amnistie générale.
     Le pire, c'est que ça s'est vendu. Pas des masses, mais tout de même. J'avais eu des critiques plutôt tièdes dans les cahiers littéraires des journaux du samedi, mais une nuée de petites revues m'avaient encensé. Un an plus tard, je recevais mon premier chèque: cent soixante dollars. Emporté par l'enthousiasme, j'en avais écrit un autre dans la même veine. Mais j'avais quitté l'université, les revues qui m'avaient porté aux nues n'existaient plus, d'autres avaient pris leur place. L'absence de ponctuation était soudainement devenues une forme particulièrement perverse d'esthétisme petit-bourgeois, j'étais devenu un symbole de la dégénérescence de la culture capitaliste à son stade monopoliste. J'ai compris. Depuis ce temps, je laisse aux autres les éloges et les critiques, et je me contente de l'anonymat et des chèques.
- François Gravel, Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants, p. 8 et 9

jeudi 21 juillet 2011

Le berceau du chat - de Kurt Vonnegut


Quatrième de couverture
Jonas écrit une biographie du Dr Hoenikker, un des pères de la bombe atomique et du « Glace-9 », le germe qui congèle l''eau. Il retrouve les enfants du savant dans la République bananière de San Lorenzo, où le gourou Bokonon prône le mensonge comme source du bonheur. Culture et contre-culture se croisent en ces temps de guerre froide où chacun redoute une apocalypse imminente.
« La science est une magie qui réussit ».
 
VONNEGUT, Kurt. Le berceau du chat (Cat's Cradle), trad. de l'anglais par Jacques B. Hess, Points, 2011 (1963), 237 p

Commentaire de lecture
« Euh... qu'elle fin bizarre! ».
- Première pensée en refermant le livre.
« Quelle lecture troublante... ».
- Seconde pensée, plus angoissante, une fois le choc passé.

Car, troublante, oui, elle l'est, cette histoire qui oscille entre l'absurde et la science-fiction, étalant sur ses pages l'idiotie humaine. L'idiotie même. 

John « Jonas », journaliste, décide de plonger dans l'écriture d'un roman sur la bombe atomique. Naïf, il contacte deux des trois enfants du père de la bombe atomique, et leur demande des souvenirs d'enfants sur cet événement terrible de l'humanité. Sans se douter de rien, il continue sa route en retrouvant aussi d'anciens scientifiques qui travaillaient sur l'invention de la bombe. Il note avec candeur tous ces témoignages, mais ne voit pas son destin se sceller parmi les détails recueillis. Car le Dr Hoenikker n'a pas qu'inventé la plus puissante bombe du monde : il a aussi créé la glace-9, petits cristaux pouvant transformer toute l'eau de la Terre en glace incassable. Et détruire ainsi le monde. Ne se doutant de rien, John s'envole pour San Lorenzo , une république de bananes où existe une religion réformatrice, le bokononisme. Il désire trouver le troisième enfant Hoenikker, mais déjà son projet de roman s'étiole.

Un berceau du chat
Le berceau du chat est une uchronie. L'Histoire du monde telle qu'on la connaît n'existe pas. Ou plutôt, elle est modifiée. Dans le but de créer des réflexions. Sans oublier le divertissement que procure ce type de science-fiction. Le narrateur, John « Jonas », raconte les événements après qu'ils se soient produits (sauf la fin), donc avec un certain recul. Le tout donne une écriture peu conventionnelle, très post-moderne dans son éclatement structurel : le roman regorge d'extraits du livre sacré de Bokonon, de correspondances épistolaires, de poèmes, de phrase en dialecte de San-Lorenzo... et pourtant, le récit trouve le moyen de demeurer linéaire, cohérent... et intéressant.

En fait, la principale réflexion du roman se joue dans toutes ces paroles de Bokonon, où les valeurs de la société sont détournées au profit d'un cynisme lucide sur la connerie humaine.
Et je me rappelai le Quatorzième Livre de Bokonon, que j'avais lu intégralement la veille. Le Quatorzième Livre est intitulé « Existe-t-il, pour un Homme Réfléchi, une Seule Raison d'Espérer en l'Humanité sur Terre, Compte Tenu de l'Expérience du Dernier Million d'Années? »
Le Quatorzième Livre n'est pas long à lire. Il consiste en un seul mot : « Non. »
- p. 198
Le bokononisme est une religion basée sur le fait que tout est mensonge, même et surtout cette religion. Dans cette perspective, toute forme d'utopie est impossible. C'est aussi le sens du titre : le berceau du chat, un jeu de cordes pour les enfants, montre que rien n'a de sens. Et surtout pas les actions humaines. Il n'y a que des illusions, que l'on enseigne aux enfants sans cesse, générations après générations, grâce à la religion, grâce à l'éthique, grâce à la science...
- C'est un des plus vieux jeux du monde. Même les Eskimos le connaissent.
- Vous m'en direz tant.
- Depuis peut-être cent mille ans ou plus, les grandes personnes agitent des ficelles entremêlées au nez de leurs enfants.
- Hum.
Newt demeurait blotti dans son fauteuil. Il avança ses mains maculées de peinture comme s'il tendait entre elles un berceau de ficelle. « Pas étonnant que les gosses deviennent fous en grandissant. Un berceau de chat n'est rien d'autre qu'un faisceau d'X entre les mains de quelqu'un, et les gosses regardent tous ces X, ils les regardent, ils les regardent...
- Et?
- Et il n' a pas plus de chat que de berceau ».
p. 136
Le berceau du chat est un formidable roman de science-fiction, à la fois captivant et posé, qui jette un regard ironique sur le monde dans un récit où la science-fiction apocalyptique chevauche l'absurde existentialiste.

dimanche 17 juillet 2011

Les voisins - de Claude Meunier et Louis Saïa

Quatrième de couverture
Trois couples de banlieue se réunissent à l'improviste autour d'une projection de diapositives de voyage. À la fin d'une soirée qui tourne en rond et dont les sujets de conservation atteignent souvent le vide de l'absurde, les voisins s'adonnent à une charade qui tourne cette fois au tragique: un des maris mime une défaillance cardiaque qui s'avère réelle.

Claude Meunier et Louis Saia jettent un regard acide sur la vie de banlieue, son folklore matériel omniprésent et ses drames existentiels.

MEUNIER, Claude, SAÏA, Louis. Les voisins, Lemeac, coll. Théâtre, 2002 (1980), 104p


Au club vidéo, avant-hier soir, pour décompresser du stress des déménagements (plus qu'un seul!!!!), j'errais dans la section des films québécois en cherchant une bonne comédie. D'ailleurs, à ce propos, pourquoi cette section est-elle si petite? Quoique si je compare à celle des films étrangers, je me dis que ce n'est pas si pire au final... Enfin, bref, mon regard vague se posait à peine sur les jaquettes des comédies pas-drôles-pour-les-matantes, lorsque, dans un coin,  un titre éveilla en moi une pincée de nostalgie : Les Voisins. Un souvenir s'imposa avec douceur à mon esprit. J'avais lu la pièce à quatorze ans. Mon professeur d'art dramatique m'en parlait souvent, et je l'avais lue par curiosité, après lui avoir emprunté un exemplaire. Le film devant moi était l'adaptation la plus célèbre des Voisins, celle de Télé-Québec datant de 1987. Téléthéâtre au budget très restreint, plus ou moins réussi, mais néanmoins un classique, il m'a donné envie de vous parlez de la pièce écrite, et de partager un petit extrait du modeste film.

Les Voisins, un peu comme La Cantatrice chauve, met en scène des personnages au prise dans une vie routinière et matérialiste qui comblent tous les silences par des mots vides de sens. Mais ici, il s'agit d'une médiocrité de banlieue de classe moyenne, là où on montrait des bourgeois enrichis dans la pièce d'Ionesco. Les voisins taillent leur haies, bronzent dans le jardin, mangent des sandwich en jouant aux cartes ou jouent à des charades dans le salon. Ils se complaisent dans ses conversations inutiles et dans des formules de politesse préfabriquées au lieu de vraiment communiquer entre eux. Pire : ils nous ressemblent. Car Claude Meunier possède un talent immense : il sait parodier des gens proche de nous, comme nous. On reconnaît nos propres voisins à travers ses personnages, que ce soit dans sa célèbre série télé La petite vie ou dans son succès populaire théâtrale Broue. Il en va de même dans Les voisins où on reconnaît avec aisance sa plume derrière certaines phrases devenus des tics récurrents dans ses œuvres. C'est encore plus vrai dans le téléfilm avec des acteurs « habitués » de Meunier : Serge Thériault (Paul et Paul, Ding et Dong et La petite vie), Marc Messier (Broue, La petite vie) et Rémy Girard (La petite vie). Ils agissent comme nous, et on les reconnaît. Avec angoisse. On ignore si on doit rire ou pleurer devant leur inaction. Ces personnages réalistes ont des problèmes personnels assez graves. Certains couples battent de l'aile, la santé d'un autre personnage décline, les dangers de la dépression se font sentir à chaque instant... Je pense que la plume de Louis Saïa intervient dans ces moments de médiocrité, où une haie de cèdre brisée peut devenir le Vietnam d'un personnage se raccrochant avec désespoir à cette clôture d'arbre, unique raison de vivre, devançant femme et enfants... Le moment où Jeanine réussit à résumer son voyage en Europe avec quelques photos de l'eau sale de la Seine, d'un avion et d'une vache me semble plutôt un moment d'écriture partagé à deux, vraiment en harmonie avec les deux plumes. Absurde, drôle... et triste. Ces gens ne savent même pas profiter de l'instant présent, et se raccrochent à des objets plus qu'à des moments... ou des personnes. Toutefois, certains personnages, à la fois plus et moins blasés que les autres je présume, sont près d'une prise de conscience pas tout-à-fait assumée. Je parle de Laurette, consciente que l'ennui la tue à petit feu et de Suzy qui provoque sa mère dans le but de la faire réagir, de la sortir de sa catalepsie quotidienne.

Les voisins, une pièce d'une grande intelligence remplie d'humour et de douceur, qui montre des personnages qui n'ont rien à dire, mais qui le disent tout de même, dans le but d'oublier les silences et les introspections.

vendredi 15 juillet 2011

La cantatrice chauve - d'Eugène Ionesco

J'ai envie de vous parler d'une pièce de théâtre dans mon top 10 de mes livres préférés, rien de moins : La cantatrice chauve (1950) d'Eugène Ionesco.

Résumé
MME SMITH : Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de l'eau anglaise. Nous avons bien mangé, ce soir. C'est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith...

Le plafond est en haut, le plancher est en bas

La cantatrice chauve est une tragédie moderne... une tragédie qui use du rire pour mieux montrer le vide de l’existence. Ionesco construit sa tragédie autour des mots afin d'en montrer leur non-sens. Les dialogues insensés aujourd'hui si célèbres furent inspirés par les conversations mondaines et un manuel d'anglais Assimil. Car, quoi de plus insignifiant que des gens qui parlent pour ne rien dire? Que le machinisme des conventions sociales? Que la rhétorique des cours de langues avec leurs phrases toutes faites? En même temps, ce vide absolu fait rire... rire pour en oublier l'absurdité de la vie qu'il reflète. Car, comme Ionesco le dit lui-même, « jouer avec les mots, faire n'importe quoi avec les mots, c'est une délivrance. Donner aux mots une liberté entière, faites leur dire n'importe quoi, sans intention, il en sortira toujours quelque chose. Il y aura toujours des mots liés entre eux qui, par là, signifieront...» La signification ici, c'est l'angoisse de vivre face au néant de l'existence que l'on tente d'oublier par la symbolique que l'on accorde aux mots. Une symbolique déconstruite par Ionesco afin de dire la vérité oubliée.

« Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux! »

Face à un tel texte, l'illusion même de réalité devient impossible. En effet, la distorsion entre le signifiant et le signifié empêche toute interprétation du réel. Prenons la notion de temps en exemple : l'horloge farfelue n'indique jamais la bonne heure, et la fin de la pièce reprend le début, dans un caractère cyclique infini. Il en va de même du décor, si poussé qu'il en devient parodique :
Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d'un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais.
Les personnages, quant à eux, porte en eux l’idéologie de la pièce : ils sont aussi vides que les mots qu’ils utilisent, aussi vrais et banals que la plupart des gens. Iosnesco a d’ailleurs qualifié ses personnages de « fantoches ». Cependant, ces fantoches ne sont pas comme les marionnettes de Jarry (Ubu Roi), des « états brutes » d’émotions, puisqu’ils sont victimes de leur propre vide intérieur, de leurs angoisses temporelles. Ces personnages n’ont pas d’identité, sont interchangeables. Ils ne vivent rien car ils ne font rien. Tous parlent pour éviter l’angoisse d’un silence trop pesant, chaque ange qui passe devenant éclipsé d'un coup de langue.

« J'aime mieux un oiseau dans un champ qu'une chaussette dans une brouette ».

Le résultat est d'une drôlerie incroyable, car, dans notre naïveté, nous ne voyons pas les gouttes de sueurs froides laissées par l'auteur sur le papier, dans cette pièce absurde où il n'y a même pas de cantatrice chauve parmi les personnages.

« - À propos, et la cantatrice chauve ?
- Elle se coiffe toujours de la même façon »

mardi 12 juillet 2011

Ubu Roi - d'Alfred Jarry

Je n'écris plus ces temps-ci. Navrée... La vie quotidienne et ses tracas m'occupent l'esprit et me bouffent tout mon temps libre... sur deux déménagements de planifiés, un seul est terminé. Oufff, les boîtes de cartons me dévoreront jusqu'à la mi-août, je le sens. Voilà le lot de ceux qui déménagent trois fois en un été. Je croise les doigts pour la suite des événements. « Tout ira bien », espérons-le.

Mais la vie sous des montagnes cartonnées possède aussi des avantages : je peux repenser à certains de mes livres favoris, lu et relu, et les partager en peu de temps sur ce blogue, en attendant de retrouver la porte de sortie... car je me suis perdue entre les lampes et les casseroles. J'ai froid, j'ai faim, je veux lire. Des serpents pendouillent un peu partout. J'ai même cru voir une panthère, ce matin. Hummm... en attendant de revoir la lumière, voici une courte analyse d'une pièce culte, Ubu roi d'Alfred Jarry.

Résumé
Officier du roi dans une Pologne imaginaire, le Père Ubu est un horrible bonhomme et sa femme une gredine : deux personnages comiques, avec leur vocabulaire particulier et leurs pittoresques scènes de ménage.

Quatrième de couverture
Le personnage d'Ubu, né d'une pièce créée par des lycéens, est devenu le symbole universel de l'absurdité du pouvoir, du despotisme, de la cruauté. Jarry en montre le ridicule, lui oppose l'arme que les faibles gardent face aux tyrans, la formidable liberté intérieure que donne le rire. Le sens du comique et de l'humour change le tyran en marionnette, en ballon gonflé d'air.


LE TYRAN EN MARIONNETTE

« J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens »
- Ubu Roi

Le mythe d’Ubu Roi explore l'image séductrice du dictateur à travers le culte de la personnalité. En 1896, Alfred Jarry décrit un cercle politique devenu typique au vingtième siècle : les régimes totalitaires existent parce que des gens placent des oppresseurs au pouvoir. Jarry, alors âgé de seize ans, écrit sa pièce dans un cadre scolaire. Et pourtant, au-delà de son aspect mythique, Ubu Roi ouvrit la voie au symbolisme, un des genres théâtraux les plus importants de notre époque. Précurseur et visionnaire, Jarry fut aussi le premier à user de gros mots sur la scène. Le mot merdre commence la pièce... et les jours où des mots comme nez ou balai choquaient le public n'étaient alors pas si lointains.... Inutile de raconter le scandale de la première au lycée devant les parents d'élèves!

Le personnage mythique
Tout mythe commence par un personnage. Ici, l'auteur crée des marionnettes,  des stéréotypes sans problème d’ordre moral et spirituel, en se gardant de leur offrir une personnalité propre. Il faut dire que Jarry revendique l’influence du Guignol, la célèbre marionnette de Lyon comme source d'inspiration. Terminée la profondeur intrinsèque des béhavioristes. L'avantgardisme de Jarry présente des personnages aux noms fantastiques, aux vêtements caricaturaux et au langage vulgaire ne correspondant pas au profil social de la noblesse. Ils sont vilains, sans crédibilité, et possèdent des caractères grotesques et rendus parodiques par leurs excès (festin pantagruélique, orgies, guerre). Par contre, ils sont pourvus d'une personnalité particulière, moins caricaturale que celle des comédies des caractères du dix-septième siècle, et plus évocatrice que celle du naturalisme de cette époque. En accordant aux personnages des idées de grandeurs démesurées et un esprit de manipulation sans égal, le mythe ubuesque peut commencer.

Cassage d'illusion mimétique
Jarry fait du théâtre, et non une description sociale. Il transforme le décor en cadre irréaliste grâce à l'usage de pancartes pour indiquer des lieux et de jouets pour remplacer les chevaux. Le texte devient plus important que les péripéties. Jarry se sert des mots selon leur symbolisme, et non selon leur définition, afin de construire un univers déjanté mais intelligent. Le jeu des acteurs, quant à lui, monotone et impersonnel, se sert de la fadeur afin d'évincer le comédien au profit d’un acteur-marionnette doté d’un masque, d’une voix bizarre et d’une gestuelle universelle (et non personnelle). Cette subjectivité amène un vent de fraîcheur dans l'art dramatique. En effet, la fantaisie de l'ornementation, du texte et même du jeu des acteurs oblige le spectateur à se servir de son imagination. Et en ajoutant à tout cela l’humour et l’irrévérence, Jarry s’affranchit de son propre mouvement artistique pour aller dans une direction totalement différente, celle de la parodie politique. Le politicien et le roi s'en prennent plein la gueule dans cette dénonciation du culte de la personnalité, où l'image devient plus importante qu'un programme politique. Oui, Jarry a vraiment décrit une époque future à travers un personnage d'ogre rabelaisien ridicule mais inquiétant.

 Extrait
Mère Ubu. — Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?

Père Ubu. — Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole.

Mère Ubu. — Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?

Père Ubu. — Eh vraiment ! et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ?

Mère Ubu. — A ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues.

Père Ubu. — Si j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée.

Mère Ubu. — Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.

Père Ubu. — Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart d’heure.

Mère Ubu. — Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

Père Ubu. — Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !

Mère Ubu (à part). — Oh ! merdre ! (Haut) Ainsi, tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

Père Ubu. — Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.

Mère Ubu. — Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?

Père Ubu. — Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s’en va en claquant la porte.)

Mère Ubu (seule). — Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.