mardi 24 janvier 2012

Poil de carotte - de Jules Renard

RENARD, Jules. - Poil de carotte. - Éditions J'ai lu. - 1971 (1894). - 183p.
Note : le livre est maintenant libre de droit, et disponible sur le net en toute légalité.

Quatrième de couverture
Jules Renard naquit en 1864. Après une carrière entièrement consacrée à la littérature, il mourut à Paris le 22 mai 1910. Ses oeuvres les plus célèbres demeurent « Poil de Carotte » (1894) et « Histoires naturelles » - toutes deux rééditées dans « J'ai Lu » en texte intégral - et le « Journal » qu'il tint de 1887 à 1910.

« Poil de Carotte », c'est Jules Renard. Et cette ferme du Nivernais qu'il décrit si bien, c'est le cadre où se déroula l'enfance du grand écrivain. Sous son ironie facilement amère, que de tendresse pour le père qui l'ignore, pour la mère qui le persécute ! Jules Renard amène la langue française à un rare degré de perfection en exprimant la profondeur de ses sentiments avec la pudeur et la mesure qui font les grands classiques.

Au-delà de l'écrivain...
Je le dis d'emblée : Jules Renard fut un misogyne de première classe, du type qui refuse que la « femme » puisse nommer les choses qui la concerne à son image afin que le langage ne lui appartienne jamais à sa juste valeur et demeure un objet de domination masculine et rétrograde. Je déteste sa personne, mais j'ai adoré lire cette œuvre écrite par sa main. Voilà, maintenant que c'est dit, passons au livre, car c'est de lui que je veux vous parler, dans une analyse détachée de son auteur et purement rattachée au contenu. Car ce roman possède un brin de génial, un brin d'amertume et un brin de sagesse. Je remercie la curiosité qui me poussa à lire ce roman français de 1894 peu connu au Québec.

Le cycle de la violence
Enfant, je regardais une série télé sur Poil de carotte, mais je n'en garde qu'un vague souvenir, fort différent des images évoquées par cette récente lecture. Ce que j'ai lu, c'est l'histoire d'un garçon roux (Jules Renard lui-même lors de son enfance) mal-aimé et maltraité par son entourage. Une histoire sur la jeunesse empreint de violences et de cruautés, loin des romans juvéniles avec lesquels on « apprend » aux enfants que le monde est tout beau, tout bleu, tout bien. Dans sa forme, Poil de carotte m'a fait pensé à La Scouine d'Albert Laberge, roman québécois écrit selon une suite de minuscules nouvelles qui forment un tout, et portant sur la vie sans pitié des paysans de la fin du dix-neuvième siècle. En effet, ce roman de Renard est écrit selon une succession de petites saynètes construisant l'histoire, et les aventures se déroulent dans la dure campagne française de la fin du dix-neuvième. Là s'arrête la comparaison, car Poil de carotte traite surtout des thèmes ayant trait à l'enfance. Le garçon, surnommé par sa mère qui le déteste Poil de carotte à cause de sa chevelure de feu, est un véritable rejeton à qui l'on attribue tous les défauts. Alors, qu'en fait, on le formate depuis des années à devenir ce qu'il est, enfant-scénario de ses parents, à coup de violence physique, mais surtout psychologique. Car ce roman traite du thème de la violence sous toutes formes, et du cycle qui en découle et qui se perpétue. Poil de carotte est tour à tour victime et bourreau : sa mère le maltraite, et celui-ci réagit en faisant preuve de cruauté envers les animaux, seuls être plus faibles que lui. D'ailleurs, il s'agit d'une idée paradoxale exploitée par le roman : sa famille le charge d'exercer cette cruelle violence envers les animaux (par exemple, ses parents lui demandent d'aller étrangler les poules), mais celle-ci le déteste encore plus parce qu'il exerce ladite cruauté. Poil de carotte, au fil de l’œuvre, prendra d'ailleurs conscience de l'ignominie de ces actes. Tour à tour il sera chasseur, pêcheur et sage, seule cette dernière catégorie permettant de vivre sans sadisme envers les animaux. La violence forme donc la personnalité de l'enfant, qui l'aime d'abord puisqu'il ne connaît qu'elle, avant de la rejeter, conscient des horreurs qu'il subit et fait subir à plus faibles que lui.

Je me dois aussi de parler de l'écriture du livre, archaïque sous bien des points de vu. Car le roman a plus de cent ans, et certaines expressions sont tellement désuètes que je n'ai jamais pu en trouver le sens, et ce, malgré mes recherches dans des dictionnaires papier et électronique. Du coup, je pense que je suis passée à côté de la signification de quelques passages. Dommage. Vraiment. J'aurais apprécié des notes de bas de page, expliquant la définition de certains mots. Toujours utile.

En conclusion,
Poil de carotte est un livre pour enfants sur la dureté de la vie, où l'innocence côtoie la cruauté impitoyable de l'être humain. Le cycle de la violence y est décortiqué sans analyse, car celui-ci n'est que montré à travers le quotidien de ce garçon mal-aimé. Une froide retenue qui fait plaisir dans ce monde sans pudeur, même si cela rend certains passages très difficiles à lire. Un vocabulaire obsolète complexifie également la lecture, ce qui est dommage.

Extrait
La Taupe

Poil de Carotte trouve dans son chemin une taupe, noire comme un ramonat. Quand il a bien joué avec, il se décide à la tuer. Il la lance en l’air plusieurs fois, adroitement, afin qu’elle puisse retomber sur une pierre.
D’abord, tout va bien et rondement.
Déjà la taupe s’est brisé les pattes, fendu la tête, cassé le dos, et elle semble n’avoir pas la vie dure.
Puis, stupéfait, Poil de Carotte s’aperçoit qu’elle s’arrête de mourir. Il a beau la lancer assez haut pour couvrir une maison, jusqu’au ciel, ça n’avance plus.
— Mâtin de mâtin ! elle n’est pas morte, dit-il.
En effet, sur la pierre tachée de sang, la taupe se pétrit ; son ventre plein de graisse tremble comme une gelée, et, par ce tremblement, donne l’illusion de la vie.
— Mâtin de mâtin ! crie Poil de Carotte qui s’acharne, elle n’est pas encore morte !
Il la ramasse, l’injurie et change de méthode.
Rouge, les larmes aux yeux, il crache sur la taupe et la jette de toutes ses forces, à bout portant, contre la pierre. Mais le ventre informe bouge toujours.
Et plus Poil de Carotte enragé tape, moins la taupe lui parait mourir.

Lu dans le cadre du challenge Un classique par mois

5 commentaires:

Lilichat a dit…

J'ai du lire ce livre pour l'école. J'en ai un très mauvais souvenir, j'ai eu beaucoup de mal à le lire. Le passage que tu cites est un de ceux qui m'a le plus marqué.

Mascha a dit…

Lilichat : Tu as eu du mal à le lire à cause de la violence?

DF a dit…

Bonsoir et bonne année!

Pas grand-chose à voir, mais je viens de te taguer... c'est ici:

http://fattorius.over-blog.com/article-le-premier-tag-de-l-annee-etre-un-livre-97898892.html

Bon courage - et surtout bien du plaisir!

Solange a dit…

Bonsoir Mascha,
J,ai pas lu ce livre dont tu fais mention mais je vois bien avec le parallèle du temps présent que rien ne change de la dureté de la vie en rapport avec les éducations et les préjudice qui en découlent, se répercutant dans la vie des enfants en bas âge au niveau primaire et même à la maison. Rien de change c'est pareil... Violence gratuite, c'est malheureux..

Mascha a dit…

DF : Oh! Merci! Ce sera le sujet de mon prochain post, hihi. ^^

Solange : Merci pour ton commentaire. J'apprécie beaucoup.
Si tu veux, on pourra en reparler lorsque nous nous reverrons. ^^